« Ça chlinguait l’urine, mais l’ascension avait été olympique. Instantanément, tout lui avait paru mathématique, discursif. Treize paquets, treize kilos de V13, symbolique des nombres et du dénominateur commun, signe du destin, tous les algorithmes concordaient. » (p.74)
Tout du tatou est un rafraîchissant et déjanté périple venu me percuter le crâne en plein milieu d’une rentrée littéraire par ailleurs anorexique, à peu de choses près. C’est un roman bref, lu quasiment d’une traite en ce qui me concerne, et dont on pourrait croire l’effet plutôt fugitif sur le lecteur. Il n’en est rien. Zoran, publiciste en rupture professionnelle, électron libre et bipolaire, cherche à revendre plusieurs kilos de V13, la drogue dernier cri, l’arc-en-ciel de la dope, l’ultime Peenemünde psychédélique. Tout le monde la veut, la poule aux œufs d’or : Zoran doit naviguer, paranoïa affutée et flingue à la main, entre deux frères corses tauliers de casino pour gogos, un proxénète (Corse lui aussi) très à cheval sur la marchandise, son tueur à gages d’associé, un monsieur Tout-le-Monde mordu d’halieutique ; se trouvent également sur son chemin un flic ripou, une secte d’allumés à vocation cosmique unitaire, sans oublier un gang de bikers nazis.
Avec tous ces ingrédients, Pierre Hanot a écrit, non pas un western à la française, non pas un road movie à l’américaine, mais une véritable série noire comme je ne pensais pas en retrouver un jour. Certes, je ne peux m’empêcher de penser à des références anglo-saxonnes comme les romans de Chuck Palahniuk ou le film Snatch de Guy Ritchie ; cela dit, la caractéristique de ce roman est de se tenir éloigné de tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, à une intrigue préscénarisée grosse de ses ficelles, ou à une simple adaptation, sur le territoire français, de recettes à succès (légitimes) outre-Manche, outre-Atlantique. Il faut ajouter que cette oeuvre paraît dans la collection Vendredi 13 (au nom bien choisi) des éditions La Branche, collection animée par Patrick Raynal, qui dirigea jadis la Série noire fondée par Marcel Duhamel (et, entre autres, révéla Maurice G. Dantec).
Écriture nerveuse, alternance savamment dosée d’argot et de lyrisme, montage sec, le style de Tout du tatou reflète, encore plus que l’influence du neuvième art, l’enrichissement apporté par le rock dont Pierre Hanot fit un temps son gagne-pain (au passage, j’apprécie particulièrement la description qu’au détour d’une page il dresse du monde des discothèques et des dj pseudo-artistes). Aucun amateurisme dans cette reconversion, bien au contraire. Du début à sa conclusion, j’ai écouté l’histoire de ces personnages barrés, socialement cramés, tricards dans une France sans le moindre changement maintenant, ni la moindre promesse de lendemains qui chantent. Zoran, le héros bipolaire, peine à trouver son centre, oscille entre Paris et Marseille, l’hypocondrie et la joie d’une vie réglée. JC, qui n’est pas Jésus-Christ, mais Jean-Claude, flic corrompu et concentré de caricature identitaire, revêt une dimension prophétique à quelques semaines du très réel scandale des flics éjectés de la BAC marseillaise. Raymond tue posément, mais cause pêche à la ligne dans les locaux de la police. Matteo, patron de tapin en mode PME, tente de se trouver de nouveaux horizons. Les frères Albertoni jouent les gros durs à la Shérif, fais-moi peur. Les bikers triquent dur pour Adolf tandis qu’Erwin, gourou de secours, pratique un eugénisme des plus sélectif. Les bastos volent et j’aime ça.
Cela semble d’ailleurs être le mot d’ordre que s’est fixé Pierre Hanot : que le lecteur ne prenne pas les vessies pour des lanternes, comme si, au fond, il était sain (à l’image du héros) de se méfier de tout et de tous, y compris de ceux qui semblent intègres, comme Stéphane, flic zélé, serviteur consciencieux de la République, mais dont les communications avec la police des polices, aussi justifiées soient-elles, ne parviennent pas à le rendre sympathique. Monde bipolaire, à l’image de Zoran, pays engagé dans une fuite en avant entre un fonctionnalisme moralement hygiénique et une frénésie de comportements marginaux, anarchiques, borderline.
Au final, il est clair que l’auteur, par ailleurs lauréat du prix Erckmann-Chatrian, ne nous arnaque pas et propose à point nommé, dans ce roman, un très bon produit.
Pierre Hanot : Tout du tatou, Éd.La Branche, 2012, 176 p. 15€
[…] rien, dans la réalité, ne se déroule comme dans les films. Au cinéma, les tueurs à gages flinguent à tout-va, mais pas un citoyen pour composer le 17, les Rambo et les Van Damme se bastonnent pendant des lunes et même pas mal, ils font des abdos une balle dum-dum dans le ventre, guérissent par simple imposition du sparadrap, jamais en rouge à la banque, ils ne vont jamais pisser, jamais caguer.
Et si d’aventure le FBI sort vainqueur du nanar, c’est que les flics se retiennent plus longtemps que les gangsters, deux mois d’enquête sans aller à la selle ! (p.131)