Il ne s’appelle pas Spectre. Ni Le Chiffre. Encore moins Goldfinger. Mais Josef Kleindienst pourrait bien devenir l’un des adversaires les plus redoutables de James Bond. Car cette fois, l’ennemi n’est pas armé d’un pistolet à silencieux ou d’une mallette à double fond. Non, son arme est bien plus sournoise : le droit des marques. Et son champ de bataille ? Un bureau feutré de l’Office de la propriété intellectuelle de l’Union européenne. Dans cet épisode inattendu, c’est la franchise James Bond elle-même qui se retrouve dans le viseur. Et le compte à rebours a commencé.
Mission : sauver 007
Voici le pitch. Josef Kleindienst, magnat de l’immobilier autrichien basé à Dubaï, développe un complexe touristique démesuré sur des îles artificielles du Golfe persique. Entre deux palmiers, il a une idée : s’attaquer aux droits des marques associées à James Bond. Pourquoi ? Parce que certaines n’auraient pas été utilisées depuis plus de cinq ans. Et selon les lois européennes et britanniques, cela pourrait suffire pour qu’il les fasse tomber.
La réplique culte « Bond, James Bond », le fameux « 007 », ou encore « James Bond Agent Spécial » ? En ligne de mire. Kleindienst veut les récupérer. Pour quoi faire ? Peut-être un bar à Martini, un resort estampillé 007, ou une gamme de produits dérivés sur catalogue. En somme, une opération de débauchage identitaire digne d’un méchant de roman… avec costume de lin beige et villa à Dubaï.
La contre-attaque de Danjaq
Mais chez Eon Productions et Danjaq, la riposte est immédiate. Comme dans tout bon scénario, les alliés se réveillent. Rudolf Böckenholt, avocat de la franchise, sort le grand jeu : « Il s’agit d’une attaque sans précédent. James Bond est l’une des marques les plus connues de l’Union européenne. » L’argument est simple : la franchise est certes en pause depuis Mourir peut attendre (2021), mais elle continue de vivre à travers des licences multiples : montres, voitures miniatures, romans, cocktails, costumes… Bond n’est peut-être pas à l’écran, mais il reste partout ailleurs.
Un silence stratégique… ou une faille ?
Le problème, c’est le timing. Aucun successeur n’a encore été annoncé pour remplacer Daniel Craig. Le prochain film est en gestation. Résultat : l’inactivité s’allonge. Et atteint bientôt la plus longue période de silence de l’histoire de la franchise (plus de six ans). Pour Kleindienst, c’est une brèche. Pour les détenteurs des droits, c’est une bombe à désamorcer. Amazon, désormais propriétaire de MGM, accélère les préparatifs. En mars, deux poids lourds ont été appelés en renfort : Amy Pascal et David Heyman, respectivement à l’origine de Spider-Man et Harry Potter.
Opération EUIPO
Comme dans tout film d’espionnage, l’action se joue dans l’ombre. Les deux camps s’affrontent par courriers, preuves d’exploitation, et dépôts de dossiers. Danjaq a demandé un délai à l’Office européen de la propriété intellectuelle pour affûter ses pièces. Kleindienst, lui, avance son pion, refusant de divulguer les « projets futurs » qu’il aurait en tête pour la marque James Bond…
Finale explosive ou match à rallonge ?
L’affaire pourrait être anecdotique. Mais elle ne l’est pas. Car si Kleindienst obtient gain de cause sur certaines classes de produits, il pourrait exploiter des pans entiers de l’univers Bond sans autorisation. Un casino à son nom ? Un cocktail servi dans une tour à Dubaï avec un logo 007 en dorure ? Ce scénario n’est plus de la fiction. C’est une guerre de copyright. Et son enjeu n’est autre que l’avenir symbolique du plus célèbre espion britannique de l’histoire du cinéma.
Prochaine mission : la décision de l’EUIPO dans les semaines à venir. Mais en attendant le retour de Bond sur grand écran, c’est peut-être dans les arènes feutrées du droit de la propriété intellectuelle que se joue l’épisode le plus haletant de la saga. Et le plus absurde. Avec, pour seule certitude : les ennemis de 007 ne sont jamais là où on les attend.
