Cinquante cinq ans que Monsieur Ruland tient La Gavotte, à deux pas des Halles. Cinquante cinq ans qu’il ouvre tous les matins sa boutique. L’homme à la fine moustache vend des chaussures et des belles chaussures. Il est en effet l’un des seuls à Rennes qui distribuent la marque Paraboot. « J’en propose à tout le monde, même à des milliardaires,» confie-t-il, le sourire en coin.
Dans les années cinquante, Monsieur Ruland aidait son chausseur de père, à Chateaubriand, en Loire-Atlantique. Puis, au 24 boulevard de la Liberté, à Rennes, le jeune étudiant enfilera la tunique de son géniteur et prendra en mains une affaire vite florissante achetée par son père. « J’ai eu jusqu’à quatre employés, deux vendeuses et des apprentis. »
Dans ce quartier de Rennes, populaire, le commerçant est devenu une figure rennaise. Toujours souriant, il accueille les clients avec délicatesse, politesse et respect. Dans un magasin devenu musée, les Rennais font un bond en arrière des plus agréable. Ils retrouvent avec délice le vieux comptoir en bois, les vieilles boites de chaussures, l’odeur du cirage, un vieux cheval à bascule et les vieilles affiches Bally.
Monsieur Ruland passera-t-il la main ? Le chausseur en parle librement. « Bien sûr, cela arrivera un jour, dans un an ou deux ans,» affirme-t-il. Mais visiblement, l’acheteur ne sera pas n’importe qui…Car le commerçant vendra sûrement à celui qui respectera un tant soit peu l’endroit. « Aujourd’hui, nous sommes un peu trop dans l’ère des designers d’intérieur, » regrette-t-il. Le commerce est parfois une affaire de coeur que la raison ne connaît pas et tant mieux.