Barbara Baldi et les éditions Ici Même nous offrent avec Ada une bande dessinée exceptionnelle où les dessins sont des œuvres d’art à part entière. Une BD majeure.
Les romans graphiques deviennent de plus en plus épais et le « roman », depuis quelques mois, l’emporte souvent sur le « graphique ». Dans cette tendance, Ada fait figure d’exception. Exception comme exceptionnelle, car autant l’écrire de suite, cet ouvrage taiseux est une pure merveille picturale. L’auteure italienne signe ici après La partition de Flintham (Ici Même éditions, 2018) une deuxième réalisation qui confirme son talent immense.
En feuilletant d’abord l’ouvrage, on pourrait se croire dans un conte pour enfants avec les forêts étouffantes et les images glaçantes d’un ogre en gros plan. L’ogre est en fait le père d’Ada, double de l’écrivaine. Un bûcheron qui vit dans une forêt d’Autriche en 1917, près de Vienne, capitale proche et lointaine où Egon Schiele et Gustav Klimt cherchent de nouvelles partitions picturales. Ce père, dont l’épouse s’est sauvée, et qui ressemble avec son énorme moustache à Staline, est autoritaire, violent et interdit à Ada la lecture et la peinture, deux passions salvatrices et empreintes d’espoir pour l’adolescente. Ada, à sa manière, silencieuse et a priori résignée, va pourtant résister, trouvant dans l’eau glacée d’un torrent ou la mise en forme d’un bouquet de fleurs, la force de combattre et d’éteindre la violence paternelle.
Ce combat raconté à distance est celui d’une jeune fille qui utilise aussi son attachement à la nature pour se construire un monde intérieur lui permettant de grandir en dehors des vociférations et injonctions paternelles. Cette nature, souvent ténébreuse mais éclairée parfois par un soleil rasant ou une lampe à huile comme des signes lumineux d’espoir, est majestueusement peinte et dessinée. Des panoramiques ou des pleine pages verticales créent une atmosphère étouffante et pesante quand le père impose à sa fille des travaux lourds et pénibles mais deviennent sources d’intimité et de bonheur quand Ada se retrouve seule au milieu des arbres et des animaux.
Les aquarelles retravaillées à l’ordinateur relèvent du plus grand talent et chaque dessin est une œuvre d’art à part entière. Les effets picturaux sont multiples et parfois, comme dans une photo, la mise au point est fixée sur un détail, un objet, laissant dans le flou un environnement cotonneux et protecteur. On croit voir parfois un tableau de William Turner et la rousseur d’Ada, semblable à celle de la dessinatrice, révèle le caractère partiellement autobiographique de l’ouvrage. Elle se tient droite, Ada, et la première représentation d’elle dans une case unique la montre devant son chevalet caché. Ces portraits verticaux d’elle sont parmi les plus belles planches de la BD. La rousseur d’Ada flamboie comme les chevelures des femmes rousses de Toulouse Lautrec et le silence de son regard rappelle la force intérieure des modèles peints par Egon Schiele. Des rapprochements osés, mais justifiés.
La simplicité de l’histoire pourrait sembler insuffisante pour nourrir une centaine de pages, mais le silence permet à l’autrice d’aller à l’essentiel et de maintenir notre attention sur la force intérieure qui anime Ada. On sent avec elle le froid qui pénètre le corps, on ressent le vent qui balaie la chevelure, on est transpercés par la pluie qui accompagne un acte odieux du père. Et surtout Barbara Baldi nous emmène avec elle sous les cieux, personnage à part entière qui renforce le sentiment de solitude d’une jeune fille enfermée dans une prison sans barreau et qui se sert de la beauté du monde pour se sauver dans des terres inconnues. Même quand l’hiver et la nuit étouffent les pas et les mots.
Qu’une maison d’édition qui ne fait pas partie des maisons les plus célèbres soit l’éditrice d’un tel ouvrage majeur témoigne de la passion de ses acteurs pour trouver et publier de telles merveilles. Ici Même a apporté tout ses soins à la qualité matérielle de ce livre qui rejoint sans aucune difficulté la catégorie des livres d’art. Un livre, que l’on prend, reprend, pour s’immerger en quelques secondes dans un univers d’émotions et de sentiments.
Ada, Barbara Baldi, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Nantes, Éditions Ici même, 7 février 2019. 120 pages. 24€. A obtenu le prix BD RTL.
Barbara Baldi (Pavie, 1976) est coloriste pour le cinéma d’animation et la bande dessinée (Pixar, Disney, Marvel et DeA Planeta). Elle a à son actif de nombreuses publications sur le marché italien, américain et français, parmi lesquelles Sky Doll et Monster Allergy. Elle signe avec Ada son second roman graphique chez Ici Même éditions (Nantes).