Apollinaire, Guillaume Apollinaire (de son vrai nom Wilhem Kostrowitsky, né Polonais, naturalisé citoyen français) en prison ? Qui l’eût cru ? À part peut-être celles et ceux qui connaissent de manière académique la vie de cet immense poète du XXe siècle.
Sous le pont Mirabeau ne coule donc pas que la Seine, mais aussi cette histoire, captivante et parfois rocambolesque, si elle n’était souvent tragique, que nous raconte avec une plume brillante et souple, l’écrivain prolixe Franck Balandier.
Été 1911. APO et ses potes zonent dans les couloirs du Louvre quand l’un d’entre eux à l’idée saugrenue de dérober la sournoise Joconde, celle née du génie probablement torturé de Leonardo Da Vinci et qui suscite tant l’intérêt des visiteurs du musée le plus célèbre du monde. Et les autorités vont remonter jusqu’à la présence du poète en compagnie de ses acolytes… S’ensuit une incarcération très courte (il sera relâché faute de preuves solides) à la Santé dont le nom peut sembler parfois baroque et comme saura avec brio nous le démontrer l’auteur (auteur qui par ailleurs connaît sur le bout des doigts comme de l’âme les ambiances carcérales).
À travers un roman construit parfois en forme de journal, nous allons suivre les aléas du quotidien et accompagner APO jusque dans la mort (le pauvre Apollinaire s’éteint des suites de la grippe espagnole) à quelques jours de l’Armistice de 1918, qui signe la fin de la Grande Guerre. Entre rêves, moments de lucidité, délires – peut-être aussi dus à la fièvre -, le poète vit un dernier amour avec la voluptueuse Mona (tiens étrange, Mona comme Mona Lisa, celle avec son petit air pincé qu’on dirait même qu’elle est assise sur une punaise, celle dont on se demande encore si c’est réellement une femme ou plutôt un homme, celle dont quelques érudits un peu fantasques dépeignent comme un autoportrait de l’ingénieux Léonard) avant de rendre son dernier souffle.
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène.
EXTRAIT DU POÈME A LA SANTÉ, RECUEIL ALCOOLS, 1913.
Et puis Franck Balandier, sous sa plume efficace, nous envoie en avant d’un siècle. Été 2015. Élise, jeune universitaire obtient l’autorisation de pénétrer la cellule où le poète a été retenu. À la Santé, dans une geôle désaffectée, en attente de réhabilitation, dans la prison classée. Comment peut-on classer une prison au patrimoine ??? Et comment peut-on la nommer la Santé quand on sait qu’on n’en sortira pas ou alors dans quel état ? Et elle va y faire une étrange découverte, tout en réalité autant qu’en poésie. Oui, mais même au centre du pire (la détention), on peut entrevoir la lumière sinon l’accueillir.
S’il s’est appuyé sur un fait réel, Balandier nous surprend à chaque page par sa capacité à donner de la hauteur à un événement qui ne ferait que quelques lignes dans une rubrique « faits divers » d’un canard quelconque… Là on s’accroche parce qu’on parvient, par la force créatrice de l’écrivain, à transcender l’ordinaire pour plonger et se délecter d’une histoire qui touche à l’intouchable, la grâce. Il arrive même souvent que l’on se sente convoqué par deux poètes. Balandier et Apollinaire…
Apo un roman de Franck Balandier. Éditions Castor Astral. 184 pages. Parution : août 2018. 17,00 €.
Couverture : © Chloé Poizat – Photo Franck Balandier – © DR
https://www.youtube.com/watch?v=xARUfC-im_I
https://www.youtube.com/watch?v=JO03Im3anS8