Si dans son roman Arrête avec tes mensonges Philippe Besson dévoile sa vérité, c’est parce que, depuis 2001, au rythme soutenu d’un roman annuel, il évoque d’une écriture blanche, personnelle et puissante, les rencontres qui changent la donne, le sentiment de manque, la privation insupportable de l’autre. Des fictions, nous disait-il. Certes, mais des romans empreints des sentiments de sa jeunesse. Qui forment le puzzle de sa véritable image.
Lors d’une interview dans un hôtel de banlieue après la parution de Se résoudre aux adieux, Philippe Besson est ébranlé par une rencontre. Une image qui ne peut pas exister et qui, pourtant, le confronte à la vérité. Cette silhouette aperçue fait surgir dans son esprit le souvenir de Thomas, un amour de jeunesse immense et tenu secret.
Philippe Besson est né à Barbezieux, petite commune des Charentes. Son père, instituteur et directeur de l’école primaire lui fera classe pendant des années, créant ainsi une distance froide qui fera peut-être la sensibilité du jeune homme intelligent qu’il deviendra. Enfant, il avait déjà cette imagination débordante inventant des existences aux gens qu’il croisait. Lassée, sa mère lui répétait sans cesse : « Arrête avec tes mensonges ».
Avec ce dix-huitième roman, Philippe Besson veut dire la vérité, celle qui a fait de lui cet écrivain sensible et nostalgique. Ce livre est un aveu et peut-être un hommage à Thomas Andrieu. Dès l’âge de onze ans, Philippe sait qu’il est attiré par les garçons. Lorsqu’il croise Thomas, dans ce lycée de Charente, il ressent ce frisson qu’il doit cependant cacher au regard des autres.
« Je le sens ce désir, il fourmille dans mon ventre, parcourt mon échine.Mais je dois en permanence le contenir, le comprimer afin qu’il ne saute pas aux yeux des autres. »
Pourtant l’invraisemblable se produit. En proie à un grand combat intérieur, le sombre et discret Thomas se révèle et lui donne rendez-vous. « Parce que tu partiras, et que nous resterons » lui dit-il. Cette phrase qui le libère prédit l’avenir. Thomas, en fils de paysan sait qu’il est voué à rester au pays, mais il sent la supériorité du fils de l’instituteur qui deviendra quelqu’un, il en est sûr.
La passion est tellement belle quand on l’a imaginée sans espoir, quand elle a ce caractère interdit qui la grandit et que l’on sait qu’elle ne pourra durer. De manière crue, directe et décomplexée, Philippe Besson partage la force et la grandeur de cet amour. Il donne à voir « le craquèlement des armures et la personne qui s’y révèle. » Philippe assume cet amour, Thomas reste sur la réserve. Pourtant la force de ce lien noué à l’adolescence marquera la vie des deux hommes.
C’est à ce moment-là qu’on s’est perdus de vue, lui et moi. J’articule ces derniers mots sans y mettre le moindre affect, comme si la vie, c’était ça, simplement ça, se fréquenter et se perdre de vue et continuer à vivre, comme s’il n’y avait pas des déchirements, des séparations qui laissent exsangues, des ruptures dont on peine à se remettre, des regrets qui vous poursuivent longtemps après.
Ce roman est certes le récit passionné d’une rencontre, mais c’est aussi et surtout le livre qui explique l’univers littéraire de Philippe Besson. « J’écrirais souvent, des années après, sur l’impondérable, sur l’imprévisible qui détermine les évènements. J’écrirai également sur les rencontres qui changent la donne, sur les conjonctions inattendues qui modifient le cours de l’existence, les croisements involontaires qui font dévier les trajectoires. »
Les thèmes récurrents de ses romans, l’abandon, la difficulté d’être soi, la question du choix, le besoin de surmonter la perte viennent de cette brûlure amoureuse du jeune homme de dix-sept ans. Une sirène de bateau, une balade au bord de la Garonne donnent encore des idées de romans à l’auteur. Si Philippe Besson dit ne pas écrire sur sa vie, nul doute que sa jeunesse hante tous ses récits.
Roman Arrête avec tes mensonges Philippe Besson, éditions Julliard, paru le 5 janvier 2017, 198 pages, 18 €
Philippe Besson est né en janvier 1967 en Charente. Homme d’affaires, il est aujourd’hui écrivain, dramaturge et scénariste. Depuis Son frère, paru en 2001 et adapté par le réalisateur Patrice Chéreau, Philippe Besson a publié, entre autres, En l’absence des hommes, L’Arrière-saison, Une bonne raison de se tuer. S’affirmant aussi comme scénariste, il a signé le scénario de Mourir d’aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise Rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine de Josée Dayan interprété par Gérard Depardieu, et de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling. Un homme accidentel sera prochainement adapté au cinéma. Un tango en bord de mer, sa première pièce en tant que dramaturge, a été jouée à Paris à l’automne 2014 et publiée parallèlement chez Julliard puis reprise à l’automne 2015 au Théâtre du Petit Montparnasse.
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