Albertine a disparu, François Vignolle et Vincent Guerrier la cherchent dans leur bd

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La campagne serait le lieu parfait pour une fin de vie entourée des personnes âgées. Ce remarquable thriller rural, inspiré d’un fait divers réel, semble dire tout le contraire. Dérangeant.

Août 1985. À Paris. Une femme s’est laissée mourir de faim chez elle pendant 45 jours. Son cadavre n’a été découvert que dix mois plus tard. Elle s’appelait Marcelle Pichon. Grégoire Bouillier a fait de sa véritable histoire un formidable roman : Le coeur ne cède pas (Flammarion). Marcelle est devenue aujourd’hui un symbole de ces personnes âgées abandonnées dans les villes où l’on ne sait rien de son voisin de palier. Pas étonnant à Paris, cette ville tentaculaire, inhumaine. Impensable, inconcevable que cela puisse se passer dans une commune rurale normande de 1400 habitants entre Caen et Alençon par exemple. « Oh tu sais à la campagne, il y a toujours quelqu’un pour aider. Ce n’est pas comme en ville. Regarde pendant le Covid : quand les enfants ne venaient pas, les voisins apportaient les courses », déclare ainsi une conseillère municipale à son maire, inquiet en période de canicule et qui recense toutes les personnes âgées de son territoire. Ici, on surveille les volets qui s’ouvrent le matin, la lumière allumée tard le soir, les portillons qui restent trop longtemps fermés. Pourtant le nouveau maire, qui prend soin de sa propre maman, s’inquiète. Albertine, 99 ans, n’a pas donné signe de vie depuis plusieurs jours, plusieurs mois, plusieurs années, si ce n’est à son fils que l’on voit venir et repartir régulièrement de la maison maternelle. Pas de réputation facile en plus la vieille dame, un peu portée sur la bouteille. Le maire est têtu, obstiné et peu à peu, au fil des renseignements, des investigations, des recoupements, la tension monte, la peur s’installe. Albertine a disparu. Et peut être même est-elle décédée ? Commence alors une enquête prise en charge par les gendarmes qui va dévoiler de multiples surprises comme un véritable thriller rural, ponctué de rebondissements et d’une fin ouverte.

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L’histoire de cette mystérieuse disparition d’Albertine est inspirée d’évènements réels. Les deux scénaristes étaient parfaitement placés pour raconter ce fait divers provincial : François Vignolle est coordinateur des enquêtes police-justice du groupe M6. Quant à Vincent Guerrier, il est le rédacteur en chef du journal local Le Perche. Aux premières loges de cette enquête à la fin de l’été 2022, ils tissent un scénario parfaitement huilé comme un polar de la Série Noire, rythmée par des moments forts, entrecoupés de pauses qui racontent bien d’autres choses qu’une enquête policière, fidèle à la tradition du polar social ancré dans son époque et ses préoccupations. On pénètre d’abord dans la vie d’un petit bourg déserté où la balade dans la rue principale se limite à un bar, un coiffeur, une agence immobilière qui accueille d’ailleurs en cette période post-covid des urbains en quête « de valeurs de proximité et de solidarité ». Le maire fait office de technicien, d’administrateur, de chef, mais aussi d’assistant social. Il est l’homme à tout faire de ces communautés livrées à elle même, dont les moyens diminuent quand les exigences des concitoyens augmentent. Les discussions chez la coiffeuse, où derrière le comptoir du troquet sonnent juste. La venue de citadins plein de bonnes intentions mais un peu benêts, est réaliste. Cette atmosphère d’une France rurale qui se désertifie, et où finalement la solitude se vit presque comme dans les immeubles Hausmaniens, Vincenzo Bizzarri, qui réside pourtant en Italie, la traduit parfaitement avec son trait bonhomme. Il campe à la perfection ses personnages dont Gilles Poulain, le maire, attachant par ses soucis d’humanité et porteur de sa responsabilité d’élu. Il nous emmène avec lui dans son quotidien d’édile local et lui rend un hommage graphique remarquable. Jusque dans le silence des rue désertes. Jusque dans l’intérieur de commerces et de chambre de vieille dame.

La vieillesse est bien entendu au coeur de la BD, la vieillesse qui isole comme en atteste la citation en page de garde de Gabriel Garcia Marquez : « le secret d’une bonne vieillesse n’était rien d‘autre que la conclusion d’un pacte honorable avec la solitude ». Cette histoire vraie raconte notre société. On passe donc bien entendu par l’Ehpad, par l’évocation de la fin de vie et de l’acharnement médical, mais on comprend que c’est l’allongement de la durée de vie, la société éclatée et l’éloignement géographique des familles qui créent cette solitude subie. Alors que dans des sociétés asiatiques ou nord africaines, les anciens terminent leurs existences dans le foyer de leurs enfants, de nombreux pays cherchent aujourd’hui la meilleure formule pour leur permettre une fin de vie apaisée et surtout aimante. Cette Bd, sans nous donner de leçon de bien pensance, nous incite à réfléchir à ce défi majeur des décennies futures.

« Albertine disparue », est le sixième et avant dernier tome de À la recherche du temps perdu de Proust. Disparue comme la mort d’un amour. Avec cette Bd, au titre en forme de clin d’oeil à l’écrivain, c’est bien aussi de la perte d’amour qu’il s’agit, l’amour envers nos parents. Si c’était l’oubli le véritable assassin d’Albertine ?

Albertine a disparu. Scénario : François Vignolle et Vincent Guerrier. Dessin : Vincenzo Bizzarri. Éditions Glénat. 144 pages. 23€.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.