BD Elle ne fait pas son âge… Mais bien d’autres choses

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Florence Cestac âge bd

Après Le Démon de Mamie, Florence Cestac revient avec Elle ne fait pas son âge, mais bien d’autres choses, une compilation d’histoires mettant en scène Noémie, son double de papier. Attention aux yeux ! Et aux nez !

Florence Cestac. On a plutôt envie de l’appeler Madame Cestac. D’abord par révérence, parce qu’elle fait partie de l’histoire de la BD française, aussi bien par son rôle dans le monde de l’édition que par le succès de ses albums et de ses personnages au gros nez, devenus incontournables. Mais on ose désormais l’appeler « Madame » aussi parce qu’elle est entrée dans l’âge où l’on regarde plus derrière soi que devant. Ce n’est pas elle qui nous contredira, elle qui, d’album en album avec Noémie notamment — son double créé en 1997 (voir chronique) —, traite du temps qui passe. Regarder en arrière, c’est justement ce que fait cet album, constitué d’un recueil d’histoires courtes parues dans diverses revues de bandes dessinées, traitant souvent des relations entre femmes et hommes. Mais pas seulement.

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Les quatre précédents albums de Noémie explorent les affres et les joies de la quarantaine, de la cinquantaine, de la soixantaine et… de la « septantaine », tandis que les saynètes de cette compilation évoquent plus volontiers des thèmes intemporels, même si surgissent l’évocation datée d’une femme présidente de la République et le nom de Ségolène Royal.

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Dans sa préface, l’autrice semble s’excuser de se moquer gentiment des garçons. C’est vrai qu’ils ne sont pas terribles, les hommes. Un peu fainéants, un peu volages, leur sommet de couardise étant le fameux « On mange quoi ce soir ? » lancé du fond d’un fauteuil confortable. On se demande d’ailleurs ce que Noémie leur trouve, à ces ronfleurs, ces flemmards invétérés. Même physiquement, pas un ne rachète l’autre. Souvent une calvitie naissante (ou achevée !), un petit ventre bedonnant au-dessus de la ceinture, et une cravate projetée en avant : ils ne ressemblent jamais aux bellâtres des romans-photos. Pas d’Alain Delon ni de George Clooney. Non, plutôt Michel Durand ou Philippe Lefebvre. On pourrait énumérer leurs défauts, mais la chronique serait trop longue. Essayons quand même un peu : hypocrites, obsédés sexuels, égocentriques… Non, finalement, le rédacteur en chef me glisse à l’oreille qu’il vaut mieux arrêter là. Faute de place.

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Il faut ajouter, pour être totalement honnête, que les femmes ne sont pas épargnées non plus. D’ailleurs, elles sont omniprésentes dans les cases, tandis que leurs compagnons mâles ne se pointent que parcimonieusement. Poitrine plantureuse, accessoires sexy, elles cherchent éternellement à s’habiller en 38, cette taille qui, à certains moments de la vie, serre un peu aux entournures. Avec l’âge, la silhouette perd en fluidité, dirons-nous avec bienveillance. Elles ne sont pas parfaites, ces copines, ces filles qui cherchent le grand amour et ne le trouvent jamais, ou rarement. Elles rêvent beaucoup mais travaillent tout autant. Leur aspect physique les préoccupe, et si l’on veut rester objectif, ce ne sont pas non plus des call-girls de Playboy. Sur ce point, Madame Cestac les met à égalité avec leurs homologues masculins.

Florence Cestac âge bd.

Pourtant, elles apparaissent au fil des pages moins ringardisées et, sur un ton doux-amer, plus en souffrance, comme si elles n’étaient pas maîtresses de leurs existences mais dépendantes. On pourrait appeler cela être victime du machisme. La gravité pointe parfois, souvent son nez (même en forme de patate). Comme toujours avec la satire, il n’y a pas loin du rire aux larmes, et l’on se surprend à trouver quatre planches grises qui disent la condition féminine d’une jeune fille « trop belle, trop tôt ». Le sourire devient alors grinçant et cache une probable irritation sourde, car Madame Cestac est capable de grosses colères, dissimulées derrière des couleurs pétantes qui soulignent par leur outrance des dialogues percutants et savoureux. C’est joyeux et acerbe, bonhomme et vachard, caricatural et réaliste, mais finalement chargé de bienveillance et de tendresse pour les copines femmes… et aussi pour les hommes, si nuls mais si indispensables.

Je ne sais pas, Madame Cestac, si vous avez pris des rides — probablement quelques-unes, cachées derrière vos larges lunettes — mais une chose est certaine : vos histoires, elles, n’en ont pris aucune. Elles nous rajeunissent même. De là à enfiler du 38…

Elle ne fait pas son âge (mais bien d’autres choses) de Florence Cestac. Éditions Dargaud. 56 pages. 17,50 €. Parution le 22 août.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.