La légèreté : les attentats de Charlie n’ont pas seulement marqué la mémoire collective, mais ont atteint de plein fouet des hommes et des femmes survivants. Après Luz, la dessinatrice Catherine Meurisse raconte ses souffrances et son retour à la vie dans une superbe BD, la légèreté, véritable hymne à la culture et à la beauté.
C’est un dessin en pleine page 3. Les deux feuillets précédents, à l’aquarelle, ont des tonalités grises et froides. Là, brusquement la lumière explose dans un ciel où il pleut « de l’or sur l’horizon irisé » comme dans un tableau. Un tableau de Turner. Ou plutôt de Rothko. Le ciel est incandescent, rouge comme le Diable, rouge comme le sang. Le jaune doré explose à la figure tel un crépitement incendiaire. Ce dessin magnifique a été réalisé fin janvier 2015, après les attentats de Charlie, auxquels Catherine Meurisse collabore comme dessinatrice. Elle a échappé au massacre, comme Luz, grâce à un retard salvateur. De manière identique au dessinateur, elle doit se reconstruire et utiliser le dessin comme béquille. Cette magnifique BD raconte ainsi les étapes de cette renaissance et d’un retour à la lumière.
Pour vivre Catherine a besoin d’amour et on devine que de ce côté-là, la chose n’est pas totalement réussie avec un chéri qui ne veut pas quitter sa famille et son épouse. Comme Luz, avec qui il est difficile de ne pas établir un parallèle, Catherine Meurisse va connaître un dérèglement total de sa personnalité. Quand Luz met dans le four des quantités énormes de papier journal, l’auteure connaît notamment le symptôme de la dissociation qui peut provoquer la mort, ou à tout le moins une anesthésie sensorielle, émotionnelle ou mémorielle. Elle n’arrive plus à dessiner, à trouver les proportions, à placer ses personnages dans l’espace. La feuille blanche reste immaculée. Et le désespoir s’incruste. Même la lecture de Proust à Cabourg ne lui parle plus. Le monde n’est que laideur et obscurité.
Le dessinateur se reconstruit autour de l’amour de sa compagne, du sexe, Catherine Meurisse va réapprendre à vivre par ce qu’elle préférait avant le 7 janvier : la fréquentation du beau.
Ce qui m’a paru le plus précieux après le 7 janvier c’est l’amitié et la culture
Et « la beauté » ajoute son amie. De formation littéraire et artistique, avant l’attentat, elle avait déjà dessiné la fréquentation des musées comme celui d’Orsay. C’est donc logiquement en marchant au milieu des œuvres d’art, comme dans le forum romain, qu’une forme de joie va renaître. Pour cela il faudra préalablement que les œuvres retrouvent avec son regard perturbé une bonne distance. Quand elle regarde dans les jardins de la Villa Médicis, des statues racontant le massacre des Niobides, elle n’y voit qu’une répétition du massacre de Charlie. La guide lui dit que ces mêmes statues, qui disparaissent selon les saisons derrière la végétation, évoquent pour elle une forme pleine et entière de poésie : des morceaux de corps qui se dévoilent plus ou moins, laissant place à l’imaginaire. Comme si l ’œuvre d’art n ’exprimait que ce que le spectateur en attend, ou souhaite voir.
En regardant ainsi des tableaux de la Renaissance italienne, la dessinatrice va peu à peu découvrir non plus des visages de souffrance, mais des visages de jouissance. Et puisque il faut trouver à ce retour à la vie des symboles le fabuleux « Cri » de Munch, qui exprime tout ce que Catherine Meurisse a pu ressentir en janvier 2015, va laisser la place progressivement à une œuvre lumineuse du Caravage, « la Diseuse de bonne aventure », éclairée dans le cadre d’une visite nocturne au Louvre. Dans la main de la bohémienne, la ligne de vie semble se poursuivre longuement grâce à la beauté :
Voir. Voir la mer, des arbres, des ciels, une peinture, de la lumière
La BD n’est donc pas sinistre. Au contraire elle est un hymne à la beauté, à l’envie de vivre. Catherine Meurisse arrive même à nous faire sourire dans des pages qui se succèdent comme un carnet de notes, un carnet de voyages vers un pays inconnu, qu’il faut rejoindre après une tempête. Passer du tableau du peintre norvégien à celui du Lombard, de la terreur aux couleurs violentes à la sérénité d’un prodigieux clair-obscur, c’est ce chemin parcouru en un an que déroule la dessinatrice. Avec elle on déambule de la surveillance pesante des gardes du corps à une promenade avec sa mère dans des lieux censés évoqués le calme et la félicité. On se prend peu à peu à jeter un regard ironique sur le monde qui nous entoure où les grenouilles nous donnent de.judicieux conseils.
Si au début du récit, l’âme de Catherine Meurisse est lourde, son dessin demeure plein de légèreté. Les dernières pages à l’aquarelle sont lumineuses. Le ciel a retrouvé sa clarté bleue. Le sable est jaune d’or. On le devine crisser sous les pieds. Les couleurs de Rothko ont laissé la place à des couleurs nuancées. Le Beau est revenu. Une forme de légèreté avec.
BD La légèreté Catherine Meurisse, Dargaud, 136 pages, 20€
Genre : Autre regard Documentaire / Biographie
Public : Ado-adulte – à partir de 16 ans