Comme un roman, la Bande Dessinée peut raconter la vie et ses souffrances. La BD Le Perroquet comme celle intitulée Écumes disent par le dessin la volonté de maintenir la vie au-dessus de tout. Pudique et paradoxalement énergique.

Dans Le Perroquet, Espé n’hésite pas. Il va droit au but, sans avertissement, sans diversion. À la première page, on sait que Fabien a grandi dès sa naissance avec une mère malade dont le cerveau est resté « coincé sur OFF », atteinte plus exactement de « troubles bipolaires à tendance schizophrénique ». Comment grandir sans ce soutien affectif, confronté à un monde extérieur dont il faut par ailleurs apprendre, comme tous les enfants, les codes ? Par chapitres, le plus souvent monochromes, l’auteur nous offre ce chemin dont les premiers souvenirs datent de l’âge de huit ans. Vue à travers le prisme d’un enfant, l’incompréhension du monde s’ajoute à celle de son entourage. Être malade sans maladie apparente : seul le père de Fabien comprend les angoisses de sa femme. En vain. Espé dévoile tout : la camisole de force, la violence des mots, des gestes, des cris. Par cette transparence et en disant la souffrance par des couleurs et des dessins, Espé nous associe à son destin et à sa renaissance, car si ces pages sont lourdes, elles sont avant tout marquées par un amour puissant, celui réciproque d’un enfant et de sa mère. Un amour inatteignable, certes, mais suffisamment puissant pour offrir un épilogue heureux, comme si « Espé » était le diminutif d’Espérance.
Dans le même registre « Écume », montre combien l’expression de la douleur peut être adoucie avec les mots. L’histoire est celle d’Ingrid Chabbert. Celle qui va devenir auteure de livres pour enfants est amoureuse et heureuse. Avec sa compagne elle va donner naissance à un bébé, un magnifique bébé pour qui la chambre est déjà décorée, peinte. L’amour est plein et délié. En courbes, comme celles d’une grossesse. Mais la vie ressemble parfois à un chavirage et l’enfant ne verra jamais le jour. On marche ainsi sur une plage, droite, le regard confiant, léger comme le voile d’une robe qui flotte dans le vent. Le ciel est clair. Et brusquement le ciel rougeoie, la pluie se fracasse sur une mer qui vous engloutit, « parfois on se noie dans une mer à boire, aussi rouge qu’un cœur qui cesse de battre ». « Écumes » est cette histoire du bonheur de l’attente et du partage, de la terreur de la perte et de la volonté de remonter à la surface. Le lecteur suit avec pudeur cette longue et lente flottaison qui n’hésite pas à montrer les moments les plus douloureux. Pour illustrer ce récit, il fallait choisir une dessinatrice capable de mettre des images réalistes, mais aussi pudiques sur ce drame intime.

La romancière britannique George Eliot écrivait : « L’art est une chose plus proche de la vie, une façon d’amplifier et d’étendre le contact avec notre semblable au-delà des limites de notre sort personnel » (1). Avec ces deux BD très personnelles, deux scénaristes nous montrent leurs souffrances qui nous amènent à aller au-delà de nos propres vies. Avec pudeur et retenue. Avec talent.
Le Perroquet, Espé, Éditions Glénat,154 pages, 19€50
Écumes, Ingrid Chabbert (scénario) et Carole Maurel (dessins). Éditions Steinkis, 84 pages,17 €
(1) Citée par Nancy Huston dans son article « Religion du roman » publié dans le numéro 157 du 31 Mai du journal « Le 1 » consacré au pouvoir des romans.
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Texte © Delcourt

Carole Maurel sera présente lors du salon Livr’à Vannes (Levr e Gwened) qui se tiendra du 9 au 11 juin sur le site du Jardin des remparts à Vannes


