Avec cette adaptation du roman éponyme, José Luis Munuera apporte au texte plébiscité une dimension poétique supplémentaire. Tout n’est ici qu’émotions et tendresse.
« À nous trois, on est un couple ». Aucune grivoiserie, ou allusion malveillante dans ce propos d’une jeune femme. Au contraire. Le couple à trois, c’est Mathilde d’abord, elle qui prononce cette maxime bienheureuse. Le conjoint se nomme Cédric, il est prof de gym de son état. Quant au troisième, abandonnez tout sentiment équivoque. Il s’appelle Ubac. C’est un chien. C’est lui qui a les honneurs de la couverture de l’édition de poche du roman écrit par le journaliste Cédric Sapin-Dufour (Stock) en 2022. C’est ce roman au « million de lecteurs » qui fait l’objet de la présente adaptation BD. Ubac est le point d’équilibre, celui qui arrive avant Mathilde dans la vie de Cédric. C’est un bouvier bernois adopté alors qu’il n’est qu’une petite boule de poils. Paradoxalement l’ubac est le versant le moins ensoleillé de la montagne, et pourtant c’est Ubac qui va éclairer l’existence de compagnon bipède.

De l’adoption du chien à sa mort, treize ans plus tard, la Bd raconte avant tout le caractère fusionnel qui peut animer des humains avec un animal. Ce n’est pas un récit chronologique qui nous est narré, mais plutôt une histoire d’amour entre un homme et son chien d’abord, puis de deux humains et un chien ensuite. Le registre unique est celui des émotions qui s’empilent au fur et à mesure des moments de partage. Des fortes sensations qui côtoient une vie quotidienne dont on sait peu de choses car justement emplie événements probablement insignifiants. La vie de Cédric et Mathilde n’est pas dans leur travail d’enseignants mais dans cette existence calme et reposante que traduisent parfaitement les dessins de Munuera, créés pour montrer et amplifier la dimension poétique du texte dont le dessinateur a repris des phrases entières sur lesquelles il a « réagi avec sa propre écriture ».
L’enjeu n’est pas de prêter des sentiments ou des attitudes humaines à Ubac, mais au contraire de montrer sa perception différente du monde. Le lecteur-Cédric se trouve ainsi souvent à hauteur de chien, le museau au ras du sol ou la truffe dressée vers le ciel, à l’affût des effluves dans l’air. Les cases de Jose Luis Munuera, mises en couleurs par Sedyas, décrivent alors plus utilement que les mots, les sensations, et notamment les odeurs, que les humains ne perçoivent pas. Elles leur donnent corps et consistance. On s’assied dans l’herbe avec Ubac et on découvre le monde autrement, de manière olfactive.


Tous les sens en éveil, ceux des hommes et ceux du chien, forment un hymne à la nature et à un mode de vie où l’on se contente de la beauté du monde environnant. Marginaux, Cédric et Mathilde le sont incontestablement dans la mesure où leur existence matériellement spartiate n’est pas celui de la majorité. Leurs relations aux humains sont limitées essentiellement à un couple fabuleusement tendre et attachant, Marie et Ferdinand, qui fait office de grands parents d’adoption et évite de donner à penser que les animaux sont meilleurs que tous les Hommes. Ils sont l’ouverture du trio sur les autres. Ils sont une belle respiration affective.
Ce récit n’est donc pas un plaidoyer pour la défense des animaux, mais l’expression de la plénitude vécue avec un animal dans un cadre majestueux, celui de la montagne que partage Cédric et Mathilde dans leur randonnée, métaphore de la vie de couple : « Le solo à deux, c’est parcourir la montagne à deux, ensemble, mais sans être reliés par la corde. Plutôt seuls, mais à deux, voisins d’évasion ».

Logiquement cet hymne à l’amour animal pourra gratter le poil des personnes agacées par une hiérarchie affective mettant sur un piédestal la relation Homme-animal. Éternelle opposition que cette Bd n’a pas pour vocation à résoudre. Ni à conclure.
Son odeur après la pluie de José Luis Munuera d’après le roman de Cédric Sapin-Dufour. Couleurs de Sedyas. Éditions Le Lombard.136 pages. 22,95€. Parution : 1er mai 2025. Lire un extrait
