L’année 2017 a révélé quelques pépites en matière de BD. Une Sœur de Bastien Vivès, qui raconte l’éveil à la vie et à la sensualité d’un adolescent de 13 ans fait partie de ces petites merveilles. Séance de rattrapage.
Décidément la BD est un art exceptionnel quand elle est pratiquée avec talent. Une Sœur le dernier roman graphique de Bastien Vivès, vient le confirmer. À la lecture de la dernière page de cet ouvrage, on se met à imaginer les milliers de mots nécessaires à un roman écrit pour traduire tous les sentiments qui éclatent dans cette seule bande dessinée. La BD permet tout et notamment les silences. Les silences assourdissants. Les silences sombres. Les silences sur le fil du rasoir. Et ces silences l’auteur de Polina n’a pas son pareil par son dessin léger, subtil, en noir et blanc, pour les rendre éloquents et porteurs de mots.
Dans cet ouvrage les mots ne sont là que pour l’accessoire. Tout est dans le dessin, les visages colporteurs uniques de l’émotion au point même que, lorsque les personnages n’ont rien à partager de fort ou de particulier, Bastien Vivès noie leurs traits dans une ombre réductrice. Par contre, lorsqu’il s’agit de traduire des sentiments forts et intenses, le trait se fait précis et les regards et expressions éloquents. Sans exagération. Sans caricature. Le dessin épuré laisse la place à l’essentiel. L’essentiel ce sont les premiers émois amoureux, sexuels, d’un garçon de 13 ans, Antoine, amené à partager de manière impromptue sa chambre avec Hélène, jeune fille de 17 ans, le temps des vacances d’été.
Antoine découvre ainsi pour la première fois de sa vie le galbe d’un sein lors d’un rapide déshabillage. Et l’émotion et le trouble profond qui en résultent. On le comprend, Bastien Vivès nous emmène dans l’intime, car ses personnages ne sont pas des caricatures d’adolescents en mal de sexe ou de voyeurisme. Antoine s’éveille à la vie, à celle des adultes, à celle de ses parents qui lui disent par exemple pour la première fois qu’il aurait pu avoir une sœur, si sa mère n’avait pas fait une fausse couche. Dans cet univers familial réaliste, le dessinateur s’attarde sur les relations d’Antoine avec son petit frère Titi, voix de l’enfance qu’Antoine est en train de quitter avec un décalage que les situations agrandissent, creusant un fossé d’incompréhension, mais aussi de grande tendresse.
Les regards d’Antoine, objets même de la BD, sont inoubliables et vous transpercent de leur vérité et de leur sincérité. Ils sont faits d’étonnement, de doutes, de malaises : il est difficile de grandir, de renaître une seconde fois, sans l’aide des parents cette fois-ci, qui ne sont plus que des ombres inconsistantes et lointaines.
Sur un sujet déjà traité, Vivès évite la caricature et Hélène, plus âgée, n’est pas cette habituelle jeune fille, délurée, sans peur, initiatrice de plaisirs à un garçon niais. Un peu plus mure, elle aussi a ses fêlures, ses doutes et le dessinateur sait avec son talent de distanciation lui donner un corps mature, mais aussi empêtré dans des peurs nouvelles. Les heures silencieuses et solitaires passées sur le portable à la plage se transforment en baignades et en dialogues. Le corps d’Hélène a quitté l’adolescence, mais n’a pas encore pénétré le monde des adultes. Antoine et Hélène sont en transit.
Tout est vrai, ou ressenti comme vrai, car l’auteur raconte avec justesse les détails du quotidien : première goulée d’alcool, première « taffe » de cigarette, premier contact avec la peau de l’autre, premier désir. Alors pour que ce quotidien soit percutant, Vivès retire tout détail superflu. Le dessin vire à l’épure, sans détails, les décors se noyant dans le blanc ou le noir selon les situations. Ainsi guidé, le lecteur n’a pas le choix. Il ne peut se détourner de ce que le dessinateur veut lui montrer : les émotions. Comme le dessin de la dernière page. Magnifique et pur. Point final d’une BD formidable.
BD Une sœur Bastien Vivès, Éditions Casterman, 3 mai 2017, 216 pages, 20 €
Scénario : Bastien Vivès
Dessin : Bastien Vivès
Lettrage : Jean-François Rey