Pour ce premier film, délicat dans tous les sens du terme, Lucie Rivoalen a travaillé pendant cinq ans. Elle a commencé à filmer sa mère en 2017, puis elle a travaillé son projet au sein de la résidence d’écriture Ty Films Mellionnec où elle a rencontré la productrice Aurélie Angebault (Vivement Lundi !) et la monteuse Marie-Pomme Carteret. Le Bleu te va bien sera diffusé sur France 3 mercredi 20 juillet à 23h30 et est déjà disponible en streaming sur france.tv.
L’année de ses 57 ans, Maryvonne, atteinte d’un syndrome amnésique, est placée dans un EHPAD. Ses trois filles, Lucie, Justine et Lise, encaissent les conséquences de la maladie, mettent leurs vies personnelles en suspens pour soutenir leur mère et s’adapter à cette situation à laquelle elles n’étaient pas préparées à l’approche de la trentaine. Lucie décide alors de filmer de l’intérieur ce corps familial chamboulé. Elle y explore les liens resserrés ou distendus, éprouve les distances nécessaires et parfois impossibles. Laissons Lucie Rivoalen s’exprimer sur les intentions de son film :
« En 2015, je filme ma mère pour la première fois. Elle m’emmène visiter la maison dans laquelle elle va emménager. Ce jour-là, nous restons à la porte parce qu’elle n’a pas les clefs. C’est le tournage le plus court de ma vie, un instant sur le seuil, au bord d’une vie nouvelle. À cette époque, Maryvonne marche avec une béquille, suite à une tentative de suicide. Je filme cette béquille comme une prolongation d’elle-même. Et je la filme elle, dans toute sa féminité, tel un personnage sorti d’un film d’Almodovar. Très maquillée, habillée de couleurs vives et poussant la coquetterie jusqu’à assortir son foulard bleu à la couleur de la porte de sa future maison.
Cette femme que je filme est le personnage le plus encombrant de ma vie. Longtemps, j’ai souhaité qu’elle me laisse tranquille, qu’elle disparaisse de mon existence. Un jour j’ai compris que je ne lui échapperai jamais. Alors, plutôt que de courir, et elle derrière moi, j’ai avancé vers elle avec une caméra.
Au lieu d’une vie nouvelle annoncée sur le seuil d’une maison fermée, Maryvonne a continué à s’enfoncer. En septembre 2017, avec mes soeurs, Lise et Justine, nous apprenons que notre mère est hospitalisée. Manifestement, elle tient un discours assez incohérent, plutôt inquiétant. […] On nous annonce qu’elle souffre probablement du syndrome de Korsakoff. Cette maladie implique des troubles mnésiques sérieux et irréversibles […] ainsi qu’une inflammation des nerfs qui explique ses difficultés à la marche. Assez vite, il semble évident qu’elle ne pourra pas rentrer chez elle. Justine, Lise et moi mettons brutalement nos vies personnelles respectives en suspens. Nous recherchons activement des solutions […].
C’est lors de cette période intense et mouvementée que je recommence à la filmer de manière assez spontanée. Et c’est ici que démarre le film. J’utilise les outils dont je dispose à ce moment-là : une caméra super 8 et un téléphone portable.
Nous prenons finalement la décision de l’installer dans un Ehpad (Établissement
d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) […]. Sa chambre de 9 mètres carré à l’Ehpad a tout d’un studio en réduction. Malgré l’étroitesse du lieu, Justine et moi sommes parvenues à y faire entrer des éléments de sa vie d’avant. À l’image de Maryvonne, le décor est chargé. Une fois ma mère sortie des tumultes de l’autodestruction, mon cadre a pu se poser sur elle. […] J’ai réalisé que le film était un espace possible entre elle et moi, une autre manière de se rencontrer à travers mon univers cinématographique et mes outils.
Avec mes soeurs, nous avons fait corps, les unes soutenant les autres afin de porter notre mère. […] L’histoire de ce film est celle de beaucoup de familles et rejoint des questionnements actuels autour de la perte d’autonomie, et de son nécessaire accompagnement. Il est difficile de traverser cette étape qui marque une bascule dans la vie de l’autre, si proche qu’elle nous fait aussi vaciller. Le cheminement du spectateur, de la spectatrice suit celui de nos réflexions, à moi et mes soeurs, et de nos prises de position, en tant que filles de Maryvonne, tiraillées entre le devoir de prise en charge et la nécessité de construire nos propres vies de femmes.
Le Bleu te va bien n’est pas le portrait d’une femme abîmée. Le passé ne constitue à aucun moment l’enjeu dramatique du film. Il ne s’agit pas d’expliquer, de révéler pourquoi les choses en sont arrivées là et pourquoi Maryvonne a basculé de cette manière. Ce n’est pas non plus un film sur « les Ehpads », ni même sur un Ehpad. Le Bleu te va bien est une exploration des mutations de notre famille en pleine tempête. Au fil de cette histoire, la cellule familiale, soudée par nécessité, doit évoluer pour ne pas s’étouffer. Pour s’accorder et s’épanouir, chacune doit gagner du champ. Cette recherche de la juste distance est notre quête, à la fois commune et solitaire. »