2020 n’a décidément épargné aucun festival. L’un après l’autre, tous les évènements qui ponctuent normalement la vie culturelle bretonne se sont éteints sous les coups de la crise sanitaire qui nous accable. Tous ? Peut-être pas…l’équipe brestoise de l’irréductible Festival Invisible résiste et nous fait l’honneur d’une nouvelle édition. Rencontre avec Arnaud le Gouëfflec, fondateur et directeur artistique d’un festival effronté qui fête cette année ses quinze ans.
Peut-être faut-il aujourd’hui le rappeler, mais la Bretagne est normalement animée par un panel de festivals aussi large que diversifié. C’est bien simple, il y en a pour tous les goûts : Rock, Jazz, Blues, Techno, Musique du monde…Toutes les écoles et tous les genres bénéficie d’un, quand ce ne sont pas plusieurs événements consacrés durant l’année. Mais qu’en est-il des inclassables, ceux qui ne se reconnaissent et ne s’assujettissent à aucun genre prédéfini ? Où vont-ils, ces incorrigibles, ces artistes qui sonnent volontairement faux et leurs fans avides de nouvelles expériences musicales ?
Trop longtemps restés dans l’angle-mort des programmateurs, ces artistes qui ne rentrent pas dans les cases ont fini par trouver refuge en terre brestoise, sous le toit de l’Église de la petite folie. Une maison qui rassemblait des personnalités comme Arnaud, fans d’artistes comme Daniel Johnston ou Roky Erickson, ambassadeurs d’un rock garage américain expérimental qui avait du mal à passer les frontières de l’hexagone. En 2005, les membres de l’Église de la petite folie décident de monter eux-mêmes un festival pour inviter ces artistes invisibles qui demeurent peu connus ou réservés à un public initié. Un pari absurde selon les propres mots d’Arnaud, mais qui depuis ne cesse d’imprégner l’ADN de ce festival audacieux qui a toujours eu « un côté déraisonnable ».
« Il n’y a rien de pire que de stagner dans un périmÈtre dont on ne sort jamais »
Transgresser les genres, promouvoir la subversion en mettant à l’honneur des artistes animés par un grain de folie, voir parfois totalement bizarroïdes. Une formule culottée qui détonne, mais aussi dénote dans un monde où les univers musicaux sont peut être encore trop cloisonnés. Le festival a ainsi toujours bénéficié d’une programmation très colorée avec chaque fois un pied dans la culture populaire et un pied dans la culture savante et l’expérimentation. Un brassage de genres, d’influences qui permet d’obtenir un cocktail saugrenu, ouvert « sur la pluralité des mondes musicaux ».
« à chaque fois on y est allé un peu au culot »
L’équipe du festival s’efforce ainsi depuis quinze ans à faire venir des figures « légendaires« , qui font office de têtes d’affiches. Cette année par exemple, les Sister Iodine, groupe emblématique, pour ne pas dire mythique de la scène noise française, s’attaquera à La Carène avec une musique toujours aussi insolente et électrisante. En restant dans un registre noise, mais aussi plus avant-gardiste, les artistes Anthony Laguerre et GW Sock se livreront à une performance live unique alliant poésie et improvisation électrique.
Pour les friands de musique expérimentale, on ne saurait que trop conseiller une immersion dans l’univers électroacoustique abstrait de Guillem Hall. De même qu’un passage par le centre d’Art contemporain Passerelle, où se donnera en concert Will Guthrie, pourrait en séduire plus d’un. Pour l’occasion, le percussionniste australien s’essaie avec neuf autres musiciens au gamelan, un ensemble instrumental traditionnel.
Une programmation éclectique et affirmée donc, qui comme chaque année fait la part belle aux aventuriers du son, tout en laissant de la place aux nouvelles têtes. Parmi les pointures du moment, on retrouvera ainsi Rouge Gorge. Déjà remarqué lors de son passage remarqué aux Transmusicales en 2019, le chanteur nous fait le plaisir d’un concert à Brest, l’occasion pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir sa musique chatoyante et mélancolique.
Autres voix à ne pas manquer, celles d’Éloïse Decazes et de son acolyte Sing-Sing, qui, avec leur duo Arlt, offrent un son à la fois sauvage et onirique. La performance lyrique et vocale du quatuor féminin Bacchantes apportera quant à elle une touche de légèreté à cette affiche décidément très marquée par le chant.
Le dernier tiers de la programmation est composé d’artistes underground purs, de « véritables invisibles » comme les Choolers Division, un groupe « made in Belgium » composé de deux rappeurs atteints de trisomie et deux musiciens indépendants. Aussi décalé qu’indomptable, Gontard sera également de la partie et viendra hurler ses textes acerbes sur la scène du festival.
Alors que les autres festivals misent en général sur une esthétique particulière en choisissant de s’affilier au moins à un genre ou un mouvement musical, le Festival Invisible rejette les chapelles et échappe à toute tentative d’identification. Une insubordination qui fait sa force, mais qui peut aussi sembler intimidante. Arnaud n’a pourtant de cesse de le répéter : malgré une programmation plébiscitée par des gens avertis, le Festival Invisible n’est en aucun cas un événement d’avant-garde réservé à une poignée d’initiés.
« on essaIe de casser le monolithisme des publics par l’éclectisme »
Bien au contraire, l’équipe du festival collabore étroitement avec une pléiade d’acteurs du secteur social et culturel de Brest, parmi lesquels les salles de concerts et centres d’art évidemment (La Carène, Passerelle, et le Quartz en premier lieu), mais aussi les services culturels de l’UBO, le CCAS de Brest, des patronages laïques et maisons de quartier… Une nébuleuse de collectifs et d’associations sont ainsi à l’œuvre durant cette semaine où sont déployées des actions et animations culturelles.
Un atelier de création de masques de carnaval confectionnés à partir de matériaux récupérés sera ainsi mis en place au centre d’art contemporain Passerelle. Les créations du public serviront à habiller une des soirées du festival. Dans un même élan d’initiation et de transmission, des séances d’écriture et d’expression seront menées par les membres du Studio Fantôme en collaboration avec le CCAS de Brest afin d’inviter un public fragilisé ou en situation de précarité à prendre part à la démarche d’expérimentation artistique qui sous-tend cette semaine de créativité et d’ébullition.
Autres actions à destination du jeune public, le « Victor Opérator » invitera les enfants à produire eux-mêmes des animations en stop-motion puis à les coupler avec des compositions de musiques originales, de même qu’une série de court-métrages intitulée « Le Piano Magique » est prévue au PL Guérin. Enfin, immanquable depuis plusieurs éditions, la soirée « Du vin dans les oreilles », présidée cette année par le Dj et caviste Laurent Moalic, alliera expérience musicale et gustative pour une séance de dégustation en musique.
« refuser l’élitisme et s’intéresser au public lui-même a toujours été un des piliers du festival »
L’ouverture du Festival Invisible se passera à l’Espace Vauban le mardi 17 novembre pour un apéro-concert bercé au son des Brestois de The Odd Bods. L’aventure sonore se poursuivra jusqu’au 22 novembre au quatre coins de Brest : Espace Vauban, Quartz, Passerelle, La Carène… Sans compter les animations culturelles transversales qui viendront agrémenter cette semaine de découvertes.
Si vous souhaitez examiner toute la programmation de cette quinzième édition, rendez-vous sur le site officiel du festival, où se trouve également la billetterie (l’évènement affiche complet chaque année depuis quatre ans, on vous recommande donc de réserver vos places rapidement !).
Association le Festival Invisible
Bureau : 26, rue Massillon 29200 Brest