BREST. PRENDRE LE MAQUIS POUR UNE RÉSISTANCE CULTURELLE

À l’heure où l’écosystème culturel est dominé par une culture de masse consumériste, les artistes et habitants du quartier de Kerourien à Brest invitent à renouer avec la diversité culturelle en prenant le Maquis. Si ce nom sonne comme une niche de résistance occupée par une poignée d’initiés, le Maquis n’est pas un lieu où l’on cultive l’entre-soi. Bien au contraire, ce collectif se définit lui-même comme une « zone de partage artistique et politique », un espace de création ouvert à tous, artistes comme non-artistes. Rencontre avec Lionel Jaffrès et Marie Lebarbier, deux maquisards qui appellent à prendre les armes pour défendre la démocratie culturelle.

À l’origine du Maquis, il y a d’abord Les Filles de la pluie, une troupe de comédiens fondée en 1994 au lycée de l’Iroise à Brest. Dès ses débuts dans une cave humide du centre-ville, le collectif travaille avec d’autres compagnies professionnelles ou amateurs, comme les Piqueteros ou le Théâtre du Grain, et ambitionne d’entrevoir le théâtre comme un espace de transformation sociale où chacun, qu’il soit étudiant, chômeur ou précaire, est libre de prendre la parole dans un élan d’émancipation collective. L’ambition derrière cette forme d’expression théâtrale engagée, que les membres du Grain appellent « écriture scénique du réel », est de « donner la parole à celles et ceux qu’on entend le moins, qui sont invisibilisés dans les systèmes de domination. » Animés par une volonté de construire un espace de création et d’éducation populaire, ces collectifs finissent par obtenir des subventions qui leur permettent de s’établir en 2012 dans un local au 12 rue Victor Eusen, en plein milieu du quartier de Kerourien. Ils décident alors de conserver le nom de la cave qui leur servait auparavant de lieu de répétitions : le Maquis.

Entièrement autogéré, le Maquis devient un refuge pour des artistes venus de tout horizon, comédiens, danseurs, peintres, marionnettistes, etc. et accueille tout au long de l’année d’autres équipes lors d’évènements plus ponctuels tels que les sessions de création « Prenez le Maquis ». Mais selon Lionel Jaffrès, « le Maquis n’est pas une simple mutualisation de projets artistiques, ni un garage à compagnies. » Intégrer le Maquis c’est avant tout embrasser une dynamique collective et engagée où l’on défend les démarches artistiques, notamment dans le but de créer du lien social avec les habitants de Kerourien. L’implantation du Maquis dans ce quartier n’est d’ailleurs pas un hasard.

Il ne s’agit pas d’une simple mutualisation de projets artistiques, ni d’un garage à compagnies

Demandez aux Brestois ce qu’ils pensent de Kerourien et la plupart répondront qu’il s’agit d’un coin mal fréquenté, déserté par la vie et la culture de quartier. Posez la même question à un membre du Maquis et il vous dira que cette partie excentrée et populaire de la ville regorge d’un potentiel de création artistique infini grâce aux nombreuses nationalités et identités culturelles que l’on y trouve. Réveiller ce quartier en nouant des liens avec ses habitants est une des principales ambitions des maquisards.

En organisant des évènements dans leurs locaux, mais aussi aux abords des tours, les membres du collectifs espèrent faire sortir les gens de chez eux, ou du moins comme le dit Marie Lebarbier, les inviter à ouvrir leurs fenêtres. Sollicité par la municipalité, le Maquis a ainsi organisé tout au long de l’été les séances de « fenêtres ouvertes ». Bien loin des spectacles intimistes au cœur des locaux, ces réunions étaient l’occasion pour les artistes, danseurs, comédiens et musiciens de sortir chaque semaine « faire du bruit » sous les fenêtres afin de briser le silence culturel des derniers mois. Derrière ces sérénades hebdomadaires, il s’agissait pour le Maquis de faire la cour aux habitants de Kerourien en les invitant par la suite à pousser la porte de leur local.

Pousser la porte du local. Cela peut paraître facile dit comme ça. Mais dans une société qui tend à invisibiliser les particularismes identitaires et où l’expression culturelle et artistique, en particulier celle des populations immigrées, est souvent muselée, oser s’aventurer dans un espace de création où chacun est libre de s’exprimer n’a rien d’évident. La tâche est d’autant plus ardue lorsque l’on est (ou plutôt se considère) soi-même comme un simple profane. Il peut alors s’avérer difficile d’identifier les activités de ce collectif artistique nébuleux. Mais ces difficultés, Lionel et Marie en sont conscients. Il l’admettent d’ailleurs eux mêmes : « les gens se demandent souvent ce que l’on fait et ont tendance à se sentir intimidés. »

Faire comprendre à des personnes non-initiées que l’art ne passe pas seulement par les structures et mediums conventionnels auxquels elles sont habituées, et surtout, qu’elles aussi peuvent prendre part à un espace de créations et l’enrichir. Un défi ambitieux dont les maquisards ont fait leur sacerdoce, et que Lionel résume ainsi : « réconcilier l’exigence artistique avec l’urgence démocratique ». Exigence artistique, car nous sommes à l’aube d’un siècle où l’art populaire est comme phagocyté par la culture mainstream, urgence démocratique, car cette uniformisation et l’étiquetage artistique qui l’accompagne tendent à éluder et précariser certaines populations.

Face à ce déficit démocratique ET culturel, le Maquis a choisi de brandir le bouclier de l’éducation populaire, seul remède pour prévenir l’aliénation. Mais Lionel est catégorique, l’éducation populaire n’est pas un processus unilatéral et descendant, telle une médiation caritative faite généreusement par quelques bons artistes qui se dévouent à éduquer les masses. L’éducation populaire, c’est une pédagogie dialogique qui passe avant tout par l’intermédiation. En effet, dans un quartier comme Kerourien, où se côtoient une quarantaine de nationalités, qui pourrait se dire plus légitime qu’un autre à être médiateur ?

Il ne s’agit pas d’éduquer les gens du quartier, mais que chacun s’éduque ensemble

Pour intégrer le maquis, inutile d’être soi même artiste, le but de ce collectif étant de provoquer des rencontres pour que se mélangent « des gens qui ont des préoccupations professionnelles artistiques et d’autres qui ont des préoccupations politiques ». L’organisation du collectif est ainsi totalement horizontale. Chaque membre est libre de participer aux assemblées plénières qui ponctuent la vie du lieu tout au long de l’année, et où sont prises les décisions qui orientent les activités des maquisards. Toutes les valeurs et démarches promues par le Maquis sont traduites et listées dans la Charte de la Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants instaurée en 2014, charte à laquelle adhèrent en Bretagne une quinzaine d’autres collectifs parmi lesquels Les Ateliers du Vent à Rennes. Les maquisards de Kerourien ne sont donc pas les seuls à résister.

Si vous souhaitez avec des informations sur la vie du collectif, le Maquis ouvre ses portes à toutes et à tous au 12 rue Victor Eusen à Brest.

Le Maquis

12 rue Victor Eusen, 29200 Brest

02 98 43 16 70

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