Brest Of ou la ville-monde saisie entre béton et songes

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brest of livre photo

Brest Of, publié aux éditions du Parapluie Jaune, fruit de la complicité de Joël Gambrelle, ophtalmologiste et photographe, et d’Alain-Gabriel Monot, professeur de lettres à l’Université de Bretagne occidentale, est écrit à deux voix. Par l’image et par le verbe, les auteurs proposent non pas un guide, ni une carte postale, mais une déambulation. Une traversée mélancolique, onirique parfois, où Brest se laisse approcher comme une amante farouche et fragile à la fois.

Ville détruite par cent soixante-cinq bombardements entre 1940 et 1944, puis reconstruite dans l’urgence, Brest a longtemps porté son manteau de béton comme une cicatrice. « Ville de souffrance et de chagrin », écrivent les auteurs, elle reste, sous son austérité apparente, « un monde à soi seul, une cité à part, irréductible ». Le général de Gaulle y voyait déjà un haut lieu de destin national, marqué par la géographie et la mer.

Gambrelle et Monot ne cachent rien de cette ambivalence : Brest n’est ni simplement grise ni strictement joyeuse. Elle est un palimpseste où cohabitent la mémoire des ruines, les fantômes des ruelles disparues et l’énergie brute d’un port qui se relève toujours.

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Dans Brest Of, la photographie et la prose ne s’illustrent pas, elles se répondent. L’œil de Joël Gambrelle, familier de la rétine humaine qu’il soigne au quotidien, cherche ici la rétine de la ville : un détail de façade, un reflet dans l’eau, une silhouette suspendue à la lumière d’ouest. Son regard arrache Brest à sa banalité quotidienne pour en faire surgir l’inattendu.

Face à ces images, la plume d’Alain-Gabriel Monot déroule une prose poétique et sensible, où l’histoire affleure toujours. Enseignant passionné, il connaît l’art des strates, des couches de mémoire. Ses mots prolongent le cadre des photos, leur donnent une vibration intérieure. Ensemble, les deux auteurs composent un récit à double voix : l’image comme saisie immédiate, le texte comme résonance.

Le projet des deux complices n’est pas d’ériger un monument supplémentaire à Brest, mais de la saisir « comme arrachée à la banalité de chaque jour, arrêtée sur image ». Leur ville d’adoption et de cœur se dévoile ici sous l’angle de la suspension : un instant saisi avant de disparaître, une atmosphère figée comme au seuil d’un rêve.

Cette approche onirique fait écho à l’idée d’une Brest hantée, traversée de présences invisibles. Les bombardements ont rasé les pierres, mais ils ont laissé dans l’air une persistance, une gravité, que les photographies et les textes cherchent à capter.

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Brest Of n’idéalise pas. Le béton lourd, la minéralité brute, l’austérité des perspectives sont là. Mais au détour d’une phrase ou d’une image, surgit le souffle marin, le rire d’un passant, le scintillement d’une verrière, la promesse d’un horizon. Brest est décrite telle qu’elle est : rugueuse et indocile, mais terriblement attachante.

En cela, le livre rejoint une tradition brestoise de célébration paradoxale : aimer la ville, c’est accepter ses blessures, ses silences, son refus d’être aimable. C’est, comme Gambrelle et Monot, chercher sa beauté dans la faille.

Il s’agit de la troisième collaboration entre Joël Gambrelle et Alain-Gabriel Monot. Leur fidélité mutuelle reflète celle qu’ils vouent à leur ville : une relation de longue haleine, faite d’approches successives, de nuances, d’hésitations et de réaffirmations. À travers leurs livres, ils construisent un portrait mouvant de Brest, une sorte de fresque intime et collective.

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La préface de Dominique Le Roux, photographe, ajoute encore une strate à ce projet, ancrant l’ouvrage dans une communauté d’artistes et de regards qui font de Brest non pas une ville figée, mais un champ de création permanente.

Brest Of n’est pas un “best of” au sens publicitaire. C’est une tentative de retenir l’essence d’une cité insaisissable, de composer une anthologie fragile de ses visages. Le livre se lit comme une promenade méditative, où l’on passe de l’ombre à la lumière, du souvenir au présent, du béton au rêve.

Dans les pages de Joël Gambrelle et d’Alain-Gabriel Monot, Brest n’est pas seulement une ville, mais un poème collectif, une cicatrice qui rayonne, une blessure qui brille au contact de la mer et du vent.

Brest Of

  • Auteurs : Joël Gambrelle (photographies) et Alain-Gabriel Monot (textes)
  • Éditeur : Éditions du Parapluie Jaune
  • Préface : Dominique Le Roux (Maison de la Photo, Brest)
  • Parution : septembre 2025
  • ISBN / EAN : 978-2-38568-111-1 / 9782385681111
  • Prix : 15 €
  • Disponible : à la Librairie Dialogues (Brest) et dans les librairies partenaires