Ecluses et écrin de bonheur, le canal Ille-et-Rance

Il permet de rejoindre l’océan et la Manche sans quasiment poser pied-à-terre. Il serpente à travers la campagne d’Ille-et-Vilaine. Méconnu et boudé des touristes, il constitue un lieu de sérénité et de beauté au cœur du département. Qui est-il ? Le canal Ille-et-Rance. Il relie les villes de Rennes et de Saint-Malo.

 

La première vie du canal d’Ille-et-Rance fut commerciale. Construit entre 1804 et 1832, il servait avant tout à faire transiter les marchandises par péniche. Mais le commerce par voie d’eau a décliné tout au long du XXe siècle avec l’arrivée de concurrents tels que le chemin de fer ou les routes. Ironie du sort, c’est grâce au canal que fut construite la ligne de chemin de fer entre Rennes et Saint-Malo. Les rails et autres matériaux nécessaires à la construction furent acheminés par bateau. L’Ille-et-Rance tomba peu à peu en désuétude et la construction du barrage de la Rance en 1960 acheva de tuer le canal.

C’est une initiative du Touring Club de France qui lui offrit une seconde vie. En 1964, ils organisèrent une régate entre Saint-Malo et Arzal. Le tourisme de plaisance est lancé. Pas besoin donc de partir en vacances au-delà des océans, l’Ille-et-Vilaine abrite aussi en son sein des écrins de verdure propices au repos estival. Souvent inaperçu des badauds à Rennes, il faut le remonter jusqu’à la Rance pour bien saisir le charme de l’endroit.

C’est un véritable enchantement de verdure et de simplicité qui serpente à travers l’Ille-Et-Vilaine jusqu’à la Rance. Ici pas de monuments grandioses, mais à chaque coude un nouveau paysage qui se dévoile. Que l’on soit à pied, à vélo, à cheval, en bateau ou en kayak, c’est un lieu qui réserve plein de promesses pour ceux qui aiment passer les vacances au vert.

Un éloge de la lenteur

« Pour ceux qui veulent vraiment décompresser pendant les vacances, c’est l’idéal », s’amuse Jean-Pierre. Il joint le geste à la parole, en montrant son compteur qui affiche 7 km/h. « On va un peu plus vite que les piétons, mais à chaque écluse, ils nous rattrapent. » La tranquillité des eaux et le silence qui entourent le bateau accompagnent cette philosophie. Ici rien ne presse, on s’arrête où l’on veut, pour une sieste, la nuit ou croquer un morceau. Plus calme que la mer, c’est la sérénité des lieux qui séduit, et pas seulement les amateurs de bateaux. C’est aussi le constat de Stéphanie Fremeaux, animatrice du patrimoine à la Maison du canal : « Si on joue le jeu du canal, on coupe avec la vie quotidienne. Ici les gens sont zens. Ce sont les attraits principaux du lieu, le calme et la tranquillité. » Sur le chemin de halage parcouru autrefois par les chevaux de trait halant les péniches, circulent désormais des cyclistes en groupe ou en famille. Ils portent leurs tentes sur des chariots. Parfois ils s’arrêtent pour observer les passages des bateaux dans les écluses, spectacle apprécié de tous. Certains préfèrent aller plus lentement encore et c’est à pied qu’ils parcourent la voie verte qui borde les eaux d’Ille et Rance. Anciennement sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, les pèlerins y côtoient des randonneurs sans foi – tous se délectent du bonheur d’être là.

L’humain au cœur de la plaisance

Jean-Pierre confie qu’il « aime particulièrement ce canal parce que les éclusiers sont vraiment sympas et aidant. » Contrairement à d’autres canaux en France, les éclusiers ont été maintenus à leurs postes. Dans d’autres canaux, ce sont les plaisanciers qui doivent eux-mêmes effectuer les manœuvres pour passer les écluses. « J’ai vu des scènes pas tristes parfois sur les canaux ! » ajoute-t-il. Si, pour les navigateurs aguerris passer eux-mêmes les écluses ne représente qu’une perte de temps, pour les plaisanciers débutants, cela peut relever du casse-tête. Le sens du contact humain reprend ici tout son sens.

On se salue entre bateliers et cyclistes, les éclusiers connaissent les plaisanciers qui reviennent d’une année sur l’autre. Claude surenchérit : « Ce qui est magnifique, c’est le regard des enfants sur notre bateau. Lorsque nous passons une écluse, ils sont émerveillés et, pour nous aussi, c’est merveilleux. » Pour Nelly Vannier, éclusière à Chevaigné, son métier ne se résume pas à bouger les deux lourdes portes afin de permettre le passage des embarcations : « C’est un métier poétique, qui est fait de rencontres, on a des gens qui viennent du monde entier, ça permet de voyager par procuration. » Australiens, Sud-Africains, Russes, Anglais… Les nationalités qui transitent par le canal sont nombreuses. A plus forte raison, l’éclusier c’est aussi celui qui fait le lien de proximité : « Quand les gens ont un souci, ils viennent frapper à notre porte, si leur enfant est tombé dans les orties, ils me demandent de la pommade, s’ils n’ont plus d’eau ils viennent réclamer un verre… Et les vieux, ils adorent venir parler ! Je tiens un peu le rôle des bistrots d’autrefois. » Pourtant le métier disparaît peu à peu, et les éclusiers qui partent en retraite ne sont plus systématiquement remplacés.

Un canal en perte de vitesse

Le canal est boudé des touristes. Depuis des années le trafic des bateaux sur le cours d’eau ne cesse de diminuer. Ce que déplore Nelly : « Il y a moins de monde à passer. Avec la crise, les gens n’ont plus les moyens de louer des bateaux. La location d’un bateau de luxe, c’est 4000 euros la semaine ! Bien sûr, je prends l’exemple extrême, mais de moins en moins de monde peut se le permettre. Le passage à “l’accompagnement” a aussi eu des conséquences néfastes : au lieu d’une écluse, les éclusiers accompagnent les bateaux sur une, deux ou plusieurs écluses. Cela a beaucoup déplu aux plaisanciers, ce n’est plus la même relation, alors ils partent. » Troisième raison évoquée par l’éclusière : le manque d’entretien du canal. Les voiliers marins qui nécessitent un tirant d’eau de 1m40 ne peuvent plus passer sur le canal, car le tirant est descendu à 1 m. Anciennement, le simple passage des nombreuses péniches commerciales suffisait à désenvaser le fond. Aujourd’hui le désenvasement est devenu trop onéreux.

Claude et Jean-Pierre naviguent sur un bateau qui leur appartient, pas de soucis de location donc. Mais pour ce qui est de la prise en charge sur plusieurs écluses, ils confirment : « Nous avons passé les onze écluses de Hédé un peu plus tôt dans la journée. Il y avait une seule petite pour faire les onze passages ! » Habitués des lieux eux aussi se rendent compte des conséquences de la crise : « Il y a quelques années, il y avait beaucoup d’Anglais sur ce canal, cela fait trois semaines que nous naviguons et nous n’en avons pas croisé un seul. »  Le canal, ce lieu de rencontre, est progressivement déserté. Régis, kayakiste croisé à l’écluse de Nelly glisse : « Il faut lui faire de la pub à ce canal, que les gens reviennent. » Les maisons de fonction se vident. La région Bretagne qui gère les canaux a fait un appel à projets l’année dernière pour leur donner une seconde vie. Certaines maisons éclusières sont ainsi réaménagées en lieux d’hébergement ou de restauration.

Lecteurs rennais, si un petit peu de dépaysement vous tente, mais que vous ne pouvez pas partir loin, pensez à parcourir les voies de halage du canal d’Ille-et-Rance. Quel que soit votre mode de transport privilégié : à pied, à vélo, en bateau… c’est un lieu idéal pour se déconnecter de la vie citadine.

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