Céline la race, le Juif : le moins que l’on puisse dire est que le nouvel ouvrage d’Annick Durafour et de Pierre-André Taguieff ne manque ni de volume (1182 pages) ni de consistance. Le projet : s’attaquer au Céline « Génie des Lettres » fourvoyé (par mégarde ?) dans la collaboration. L’attaque est de taille et structurée façon Blitzkrieg, loin du fleuret moucheté. Les auteurs en profitent pour se rappeler au bon souvenir d’Heidegger, mais aussi de Voltaire et de Marx, sans doute leurs prochaines cibles.
Annick Durafour et de Pierre-André Taguieff sont spécialisés en analyse historique et littéraire. La décennie qui précède la Seconde Guerre mondiale est une période troublée : le Monde et l’Europe dansent sur un volcan. Certains – par facilité ou imbécillité – sentent le conflit venir et rejettent la faute sur les Juifs (qui seraient à l’origine d’une conspiration visant à anéantir la civilisation chrétienne). Un texte fabriquée, sans doute par la police tsariste, circule et fait mouche : le « Protocole des Sages de Sion ».
La littérature française de l’époque, dans les cercles nationalistes issus des milieux antidreyfusards, produit libelles et pamphlets vis-à-vis des ennemis : Franc-Maçons et Juifs… Les pamphlets de Céline commencent avec les Mea Culpa en 1936 suivi de Bagatelles pour un massacre en 1937, l’École des cadavres en 1938 et enfin les Beaux Draps en 1941.
S’il faut souligner la virulence éructante de l’auteur qui n’hésite pas à plagier d’autres libellistes, elle n’est pas très éloignée de celles d’autres auteurs à peine moins célèbres dont le présent évoque avec une gêne modérée le pacifisme ou le vichysme : Léon Daudet, Marcel Jouhandeau, Paul Morand et quelques autres qui ne faisaient pas mystère de leur antisémitisme. De fait, le racisme, de salon, de comptoir ou politique (on a vite oublié les dérapages de Jules Ferry, Jean Jaurès ou Léon Blum) était une chose banale qui concernait aussi bien la gauche que la droite et même les Juifs français. On pense à Irène Némirovsky grande écrivaine convertie au catholicisme, qui ne faisait pas mystère de son mépris envers les juifs cosmopolites et publia, outre des romans de qualité, des nouvelles sous pseudonyme dans… Gringoire (hebdomadaire politique et littéraire de droite fondé en 1928 par Horace de Carbuccia, Georges Suarez et Joseph Kessel qui se compromit durant la guerre) avant de mourir – hélas – en déportation…
Avant la guerre et sans attendre la défaite de 40, Céline s’est rapproché des milieux pronazis canadiens, par exemple Darquier de Pellepoix, futur commissaire général de Vichy aux questions juives à partir de mai 1942. Ou encore du Welt Dienst allemand (agence de presse national-socialiste fondée le 1er décembre 1933) qui fourniront matière à ses pamphlets, lesquels sont aujourd’hui accessibles sur le Net quand ses thuriféraires les plus hypocrites pleurent sur l’« impossible réédition ».
Ce qui est plus inquiétant reste que Céline dès cette époque, c’est-à-dire avant la Guerre, n’est pas un simple antisémite de salon ou de bistrot. Ses pamphlets font montre au regard de ses plagiats d’une lecture attentive de textes militants. Des phrases compare les juifs à des microbes dont il recommande la désinfection… Certes, il était loin d’être le seul à s’exprimer avec une telle violence, dans la droite ligne du théoricien anarchiste Pierre-Joseph Proudhon qui réclamait la stérilisation des femmes juives afin d’exterminer cette race maudite.
Pendant l’occupation, Céline, éternel insatisfait de la reconnaissance, ne fera pas dans la dentelle… Proche d’Otto Abetz, ambassadeur de la Kultur nazie, lui-même prompt à séduire intellectuels et artistes prêts à se compromettre pour quelques gâteries de l’occupant. Arletty ne fut pas la seule à pouvoir dire au propre ou au figuré « mon cul est international ». Notre Ferdinand bien « national », lui, alterne lettres à l’éditeur pour dénoncer la « conspiration judéoanglobolchévique » dans les canards collaborateurs : les Pilori, Gringoire, Je suis partout et autres Gerbe de sinistre mémoire, et vraies lettres de dénonciation comme celle dénonçant un confrère juif haïtien dont il convoite le poste au dispensaire de Meudon…
Plus inquiétant encore, Helmut Knochen qui dirigea en France le Sicherheitsdienst ou SD (renseignements) créé en 1931 par Heydrich fut interrogé en 1947 par les Services français et cita Céline comme agent du SD en France. Certes, on peut imaginer sans vouloir « blanchir » Céline que Knochen avait intérêt à en « lâcher » le maximum. Par ailleurs, une curieuse anecdote relate par exemple que Céline (qui vécut à Rennes dans les années 20, voir notre article à ce sujet) put venir en villégiature à Saint-Malo en 1943, la côte étant extrêmement surveillée, grâce aux bons soins d’un certain Hans Grimm, responsable du SD à Rennes et qui, outre la direction réelle de la Bezen Perrot (Bretonishe Waffenverband der SS Bezen Perrot, détachement armé breton SS, petite légion bretonne nazie), fut à la résistance bretonne ce que Klaus Barbie fut aux Lyonnais…
La fuite de Céline en Allemagne puis vers Sigmaringen, accoutré comme un clochard, était une nécessité : l’épuration n’aurait pas eu les velléités éthyliques de son voisin Roger Vailland et lui aurait sans doute administré le même traitement que Brasillach. Et Céline n’était pas Drieu la Rochelle qui savait perdre…. Cette fuite relatée dans les derniers opus de sa vie littéraire reste un grand morceau. Parfois on pense à Moravagine de Blaise Cendrars : l’Allemagne s’effondre, part en lambeaux, tout se disloque. C’est le crépuscule des Faux Dieux et d’« Un Château l’Autre » n’est pas une défense pro domo, mais un réquisitoire sans pitié vis-à-vis des médiocres, compromis et autres Pieds nickelés de la Collaboration qui aurait sa place dans les programmes d’Histoire. Car Céline, et cela reste à son crédit, pouvait cracher sur tous !
À peine revenu, libéré par un vague jugement de tous soucis au moins judiciaires, Céline reprend sa cognée d’antisémite par le biais du négationnisme qui met en doute la véracité de la Shoah. Dans un cercle restreint, Céline a joué un rôle important dans la période de formation du négationnisme en France en donnant son crédit au livre de Paul Rassinier de 1948 intitulé Le Mensonge d’Ulysse (« il y en eut, pas tant qu’on le croit » affirme-t-il à propos des chambres à gaz), ouvrage fondateur de l’« école révisionniste ».
Dans son ouvrage, concis et à recommander à tous les lecteurs « Céline et le grand mensonge », André Rossel-Kirschen qui fut le seul survivant du procès de la Maison de la Chimie en 1942, et dont on peut regretter qu’il n’est pas cité dans ce Céline la race, le Juif, opus pourtant exhaustif, a parfaitement montré toute la véracité du personnage. Céline était un écrivain génial, mais aussi un truqueur : foin d’une jeunesse médiocre dans un passage couvert mal aéré, il était au contraire issue d’une famille aisée et bourgeoise dont il saura se servir. Par ailleurs, il met en exergue la quête insensée du gain chez Céline qui la dénonce pourtant chez d’autres et sa fuite au Danemark, où il s’invente une geôle glacée, n’a pour but que de recouvrer l’or qu’il y a planqué grâce à une ex-maîtresse. Quant à sa blessure, reçue à Poelkapelle, lors de la Course à la Mer des belligérants, et pour laquelle il affirmera avoir été trépané, la lecture du journal de marche de son régiment, accessible en ligne, signale la blessure du Maréchal des Logis, mais ne fait état d’aucun élément de gravité ni d’une quelconque action d’éclat, alors qu’elle est rapportée pour d’autres soldats. Mystère…