Le film Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret a fait l’objet d’une présentation officielle « hors compétition » au Festival de Cannes 2022. Emmanuel Mouret n’en est pas à son premier coup d’essai. Diplômé de la Fémis, il compte à son palmarès pour son film « Promène-toi donc tout nu » le César du meilleur réalisateur et le César du meilleur film ainsi que le Léopold d’Or (récompense suprême décernée en 1968 au Festival international du film de Locarno.
Chronique d’une liaison passagère est pêtri comme du bon pain. Il en a la saveur et la fraîcheur et se déguste sans aucun effort, passant dans la tête avec l’évidence que met un courrier qui se glisse allègrement dans la boîte à lettres. Bien sûr, le spectateur averti et blasé dira, avec mauvaise foi : « Il s’agit d’une banale historiette qui narre la rencontre de deux amants ». Et il aurait raison. Mais en partie seulement. Car, au fond, c’est cela; ajouté, néanmoins avec le sel, le savoir faire et la finesse d’un auteur qui manie avec élégance l’art du vaudeville.
Situé entre Sacha Guitry et Woody Allen par les spécialistes du 7e Art ; pour ma part, Emmanuel Mouret est un Marivaux des temps modernes qui joue sur le tableau des comédies d’amour aux dépens des comédies morales. Chronique d’une liaison passagère développe la rencontre d’un homme et d’une femme qui donne à voir et à éprouver les émois de l’adolescence : l’insouciance, la découverte du contact sensible des peaux, le brûlant des premiers baisers, l’attrait sensuel, érogène et sexuel de l’étreinte puis la jubilation que procure l’après-étreinte.
Mais, tout se passe moins dans la monstration du plaisir de la chair que dans la suggestion de l’ardeur du désir. Tous deux issus de milieu sans préoccupation matérielle, ils tissent au fil du temps une liaison qui se veut loin des préjugés qu’imprime la société bourgeoise : le « qu’en-dira-t-on, l’adultère coupable (lui est marié et père de famille, elle mère célibataire), l’idéal du couple installé dans le quotidien sans faire de vague, la jalousie.
L’intrigue de Chronique d’une liaison passagère repose sur le fil du rasoir entre désir et sentiment amoureux et un contrat tacite, comme un pacte mutuellement consenti: aucun engagement. L’héroïne, une mère célibataire (incarnée avec grâce et naturel, Sandrine Kimberlain) campe un personnage de femme pleine de gaité et de vitalité, amoureuse de l’instant que lui octroît la douce saveur d’une relation nouvelle qu’elle mène avec un homme certes charmant mais qui n’est pas pourvu des standards du parfait séducteur. Il en est même assez éloigné. De physique sans autre véritable attrait que celui de l’adolescent attachant mais presque disgracieux et vieilli, lui (incarné par Vincent Macaigne, impeccable dans le rôle, à l’écran comme dans la vie) est plus proche de l’ourson malhabile et indécis que du fin limier, chasseur de haute volée. Mais, habité par l’attirance qu’il éprouve sans complexe vis-à-vis de cette femme, il parvient à convaincre par l’innocence et l’audace quasi juvénile de l’être épris qui se laisse entraîner par la passion qu’il éprouve à l’égard de cette femme.
Le réalisateur Emmanuel Mouret sait faire vivre jusqu’à faire vibrer, avec talent, sensibilité et délice, cette liaison passagère sous les yeux du spectateur qui a conserver son âme d’adolescent. Du reste, cette comédie sentimentale, dont la légèreté éveille l’envie qu’elle se prolonge, trouve une issue déchirante lorsque l’homme s’aperçoit du guêpier dans lequel il s’est laissé prendre car l’émoi du désir s’est transformé à ses dépens en un amour sincère. Il entreprend, in extremis, une manoeuvre pour tenter de rompre le contrat du « non engagement ». Pour autant, il est rattrapé par la ferme décision de la femme qui lui rappelle les terme ce leur pacte. Elle lui annonce ensuite avec douceur mais détermination la fin de la liaison. Point final de la chronique d’une liaison passagère.
Ce mélodrame a la simplicité du thème et l’universel de la situation, en rupture avec les codes de la société qui reposent sur la fidélité dans le couple (pour l’homme, ici). Cependant, l’angle que choisit Emmanuel Mouret pour nous embarquer dans cette historiette n’est pas moins subtile dès lors qu’il fait miroiter, avec l’ironie du sort, le désir dont l’éprouvé côtoie le sentiment amoureux. Et l’homme désirant est pris au piège de l’amour, et terrassé par l’amer regret d’une liaison qui s’achève. A n’en pas douter, il y a bien du Marivaux dans cette jolie et charmante invite cinématographique.