Cinéma. Varsovie 83, la chronique choc d’une machination d’État

Depuis mars 2022, à la lumière de l’actualité en Europe de l’Est, les évocations du souvenir de l’URSS se multiplient. Avec Varsovie 83, le jeune réalisateur polonais Jan Paweł Matuszyński nous embarque pour un récit sous tension et inspiré de faits réels de l’autre côté du rideau de fer. Le cinéaste, à l’origine de la série Canal + The King of Warsaw, revient sur les années de plomb que vécût la Pologne entre la sortie du second conflit mondial et la chute du mur de Berlin.

Du haut de ses 2 heures et 39 minutes, le drame historique Varsovie 83 (titre original : Żeby nie było śladów) prend le pari de nous immerger en République Populaire de Pologne, communiste à partir de 1945. Le 12 mai 1983, la Milice citoyenne (police politique) arrête et lynche à mort l’étudiant Grzegorz Przemyk, fils d’un soutien de l’opposition contraignant les autorités à empêcher un procès accablant.

En ce début de décennie 80 naît le syndicat indépendant Solidarność (« Solidarité »), dirigé par Lech Wałęsa, d’abord interdit, puis reconnu à contre-cœur par les autorités. Dans un contexte économique critique, fronde syndicale, revendications populaires, grèves et manifestations s’amplifient et Solidarność regroupe bientôt des millions d’ouvriers soutenus par les intellectuels réformateurs. Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, le général Wojciech Jaruzelski déclare la loi martiale (état de siège) mais Solidarnosc continue d’exister en tant que syndicat clandestin. C’est dans le sillage de ces évènements que prend place le récit porté à l’écran par Matuszyński et les scénaristes Kaja Krawczyk-Wnuk et Cezary Łazarewicz, auteur de Leave no traces, the case of Grzegorz Przemyk dont le film s’inspire.

Dès les premières secondes du film, l’œil du spectateur est stimulé grâce au travail pointilleux de la photographie effectué par Kacper Fertacz. Le long-métrage opte pour un format pellicule 35 mm, hommage aux émissions de télévision publiques de l’époque. Ce grain photochimique naturel donne une authenticité à l’image et permet de retranscrire avec encore davantage de réalisme les trottoirs gris, les chaussures de cuir et l’ameublement spartiate de ces années 80. Puisque c’est de cela qu’il s’agit avec Varsovie 83 : le film est un tour de force en termes de reconstitution historique. L’esthétisme léché traduit un réel souci de réalisme, un travail du détail immense, notamment dans la mise en avant de l’architecture d’après-guerre. L’on ressent directement l’ambiance froide et austère de zones urbaines où le béton se répand.

Dans cette atmosphère baignée d’une odeur de cigarette, la lumière joue un rôle clé. Toujours en arrière plan comme pour signifier l’espoir hors les murs, la lumière blanche surexposée aveugle parfois mais séduit toujours grâce à un jeu subtil d’ombres et lumières. Cette imagerie plutôt vintage s’accompagne d’une bande originale oppressante réalisée par le trompettiste de jazz français Ibrahim Maalouf. Cette dernière, grave, métallique aux accents stridents et dissonants, se fait discrète tout en accompagnant parfaitement la progression dramatique. L’utilisation de synthés, de battements sourds et réguliers ainsi que de motifs mélodiques profonds et lourds, accentuent l’étouffement du spectateur au cours du film.

En effet, à travers les quasi trois heures que proposent Varsovie 83, Matuszynski distille une chronique édifiante d’une machine répressive huilée et d’un appareil d’État dont tous les rouages sont corrompus. Pour cela, il n’hésite pas à filmer les visages de près. Ces gros plans paraissent sonder l’âme de ces personnages qui souvent, par un regard, expriment avec gravité la pression constante du régime. La violence, elle, est tantôt explicite, tantôt tacite et le cinéaste montre avec subtilité que les mots peuvent être aussi brutaux que les coups. Dans le même temps, la musique peu présente laisse la place aux dialogues ; ces derniers sont nombreux, relativement longs et d’une grande intensité. Les regards mais aussi le silence sont utilisés pendant les conversations et servent le propos en évoquant l’implicite et le mutisme inhérent au régime totalitaire.

Quant à elle, la caméra de Matuszynski se balade, maligne, afin de toujours saisir les meilleurs angles de vue (on pense à un plan long sur une porte d’entrée suggérant avec finesse la résignation). Le spectateur se retrouve à regarder dans l’encadrure d’une porte ou au travers d’une vitre, comme pour évoquer l’enfermement. La scène d’ouverture du film, en caméra épaule, nourrit la sensation d’effervescence lorsqu’artistes et intellectuels se regroupent pour dénoncer le contrôle total et hermétique des institutions.

Tous ces éléments sont bien sûr soutenus par des acteurs justes et expressifs (mention spéciale pour Aleksandra Konieczna en procureure et Robert Więckiewicz en sadique général Czesław Kiszczak). Le long métrage parvient à nous transmettre toute la dimension politique de l’affaire Przemyk, qui polarise l’opinion et ébranle le pouvoir pourtant lancé dans un engrenage de répression et de brutalité. Peut-être un peu inégal et long, le film perd occasionnellement en puissance dramatique mais parvient dans l’ensemble à maintenir le spectateur impliqué et captivé pendant ces trois heures. Véritable film coup de poing, Varsovie 83 réussit son pari. À aller voir de toute urgence.

Sortie en salles : 4 mai 2022 

Durée : 2h 39min 

Réalisation : Jan P. Matuszynski

Scénario : Cezary Lazarewicz, Kaja Krawczyk-Wnuk

Avec : Thomas Zietek, Sandra Korzeniak, Jacek Braciak, Robert Wieckiewicz, Agnieszka Grochowska

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