La BD Collaboration Horizontale met en dessins de petits tracas et pose de grandes questions. La vie d’une cage d’escalier pendant l’Occupation allemande peut évoquer, par de jolis portraits de femmes notamment, la « Grande Histoire ».
C’est une façade d’un immeuble en 1942. Comme les cases d’un calendrier de l’avent, les fenêtres s’ouvrent sur des silhouettes féminines pour la plupart. En bas de l’immeuble, une petite place ressemble à un décor de théâtre. Tout est en place pour un huis clos qui va mettre en scène des occupants d’appartements, lieux de l’intime. On sait, ou on croit savoir tout de son voisin. En cette période troublée d’occupation, où les gestes et paroles sont encore plus auscultés que d’habitude, les apparences doivent être sauvées.
Un homme aveugle, Camille, époux d’Andrée la concierge, est peut-être celui qui, paradoxalement, connaît le mieux les secrets des femmes des étages. Il sait les amours de sa fille Simone qui s’habille à la garçonne, il devine les souffrances de Joséphine, femme tant désirée par les hommes. Il perce les secrets de Flament, vieille aristocrate acariâtre amoureuse des chats. Sur sa chaise au bas de l’immeuble, il est attentif au déroulement de la vie qu’il perçoit dans les cris de colère ou les chuchotements.
C’est que sous les apparences de convivialité, chacun et chacune cachent ses secrets, comme ce soldat allemand qui vient chercher des juifs censés vivre dans l’immeuble. Après avoir été reçu par Rose, il repart seul, mais étonnamment satisfait.
L’apparente chronique familiale d’un immeuble va se transformer peu à peu, par de petites saynètes, qui nous promènent d’un appartement à l’autre, en une chronique de la nature humaine, que révèlent plus facilement les périodes troublées de guerre.
Les sujets abordés sont nombreux dont le premier, qui a donné son titre à la BD : peut-on coucher avec l’ennemi quand on est amoureux ? Et on n’échappe pas à ces images terrifiantes de Capa ou de Cartier-Bresson de femmes tondues que la dessinatrice Carole Maurel, traduit subtilement en dessins à la fin de l’ouvrage. Par des couleurs ocre et sourdes, elle retranscrit l’air pesant de l’époque sans céder à l’obscurité du blanc et noir. Son trait classique est parfait pour évoquer le grand écart entre les « petits » soucis quotidiens et la guerre qui tue des milliers d’innocents. Est-ce le moment de s’affranchir du poids des hommes, de leur violence et de leur pouvoir patriarcal ? Peut-on sauver les êtres aimés contre leur gré ?
À la manière du « Passe Murailles » de Marcel Aymé, le lecteur traverse les cloisons des logements pour scruter la vie ordinaire qui se poursuit inexorablement.
Le quotidien fait aussi la Grande Histoire, et chaque lecteur, selon son degré de tolérance, place le curseur de son jugement moral comme il le souhaite. La force de cette BD est de raconter avec tact, pudeur et douceur, des sentiments violents comme l’amour ou la haine sans jugements ou leçons moralisatrices. Chaque personnage se compose un masque social que Virginie Mosser, alias Navie, fait tomber avec justesse. Avec une économie remarquable de moyens, elle compose une fresque qui nous émeut par sa proximité.
Des dessins pleine-page brisent le rythme de l’histoire pour nous rappeler les préoccupations et les pensées individuelles de quelques personnages. Superbes graphiquement, ils rendent justice au caractère unique de chacun. Plus on plonge dans les pensées de chaque individu, plus on le comprend, et plus on l’excuse éventuellement.
Comme la vie, la chronique ne peut se dérouler sans une fin. Là encore elle laisse le lecteur face aux faits et une lettre glissée dans les dernières pages chamboulera un peu chacun l’amenant à une nouvelle et dernière réflexion.
En reposant la BD, on a le sentiment d’avoir assisté à une pièce de théâtre avec de multiples personnages qui entrent et sortent de scène avec discrétion. Voyeur par effraction, on se retire sur la pointe des pieds, laissant le rideau se refermer sur des vies brinquebalantes qui vont se poursuivre tant bien que mal. Et on a envie d’applaudir les auteurs. Comme au théâtre.
Collaboration Horizontale est une BD de Carole Maurel (dessin) et Navie (scénario) parue chez Delcourt dans la collection Mirage, 144 pages, 17,95 €.
Feuilleter les premières pages ici
Collaboration Horizontale
Date de parution : 25/01/2017
Coloriste : MAUREL Carole
Illustrateur : MAUREL Carole
Série : COLLABORATION HORIZONTALE
Collection : MIRAGES