Il y a des déchets que l’on jette sans y penser, mais qui pèsent lourd sur les épaules de la planète. C’est le cas des produits textiles sanitaires à usage unique — mouchoirs, lingettes, essuie-tout, tampons, couches, masques… — omniprésents dans notre quotidien et pourtant absents du grand tableau de la responsabilité environnementale. Jusqu’à maintenant. Car une coalition inédite d’ONG et d’associations de collectivités vient de porter l’affaire devant le Conseil d’État dans un recours symbolique et structurant.
Essuyer un nez, changer un bébé, retirer un maquillage, se protéger pendant ses règles… Ces gestes anodins s’appuient sur un marché colossal. En France, les produits textiles sanitaires à usage unique (TSAU) représentent près de 2,4 millions de tonnes de déchets par an. Et pourtant, contrairement aux emballages ou aux équipements électroniques, les industriels de ce secteur n’ont aucune obligation de financer ni la gestion ni la collecte de ces déchets. Seules les lingettes sont partiellement concernées par une filière de responsabilité élargie du producteur (REP), depuis une décision gouvernementale en 2024 prise sous la pression d’une plainte européenne.
Pour le reste, c’est le contribuable qui paie — via les collectivités territoriales — le ramassage, le traitement et l’élimination de cette masse grise, incinérée ou enfouie. Une situation jugée inacceptable par une alliance hétéroclite mais déterminée.
Lundi 7 juillet 2025, plusieurs organisations de premier plan — Zero Waste France, France Nature Environnement, Surfrider, les Amis de la Terre, mais aussi Amorce et Réseau Réduire+ côté collectivités — ont déposé un recours au Conseil d’État. Elles dénoncent l’inaction du gouvernement face à ce qu’elles nomment « une atteinte manifeste à la loi AGEC » (anti-gaspillage pour une économie circulaire), adoptée en 2020. Cette loi imposait l’extension du principe pollueur-payeur à l’ensemble des TSAU d’ici 2024.
Mais à ce jour, les couches, tampons, mouchoirs et serviettes en papier restent exclus, dans ce qui ressemble fort à une reculade politique. « Le gouvernement a cédé aux lobbies de l’industrie hygiénique », fustige Zero Waste France. La filière produit à la fois beaucoup de déchets et peu de recyclabilité — un combo catastrophique pour l’environnement.
Au cœur de ce recours : une idée simple mais puissante. Pourquoi le citoyen, via ses impôts locaux, devrait-il supporter seul les conséquences environnementales de produits jetables mis sur le marché par de grandes entreprises ? Selon les requérants, les fabricants devraient être contraints de financer une filière de traitement, d’investissement dans des solutions alternatives, et d’écoconception.
L’addition est salée : près de 800 millions d’euros par an seraient ainsi transférés du contribuable aux producteurs. En ligne de mire : les grands groupes du secteur hygiénique, encore largement dominés par des acteurs transnationaux peu enclins à remettre en question la rentabilité de leurs modèles jetables.
L’affaire ne concerne pas seulement les finances publiques, mais le mode de vie moderne dans son ensemble. Comme le souligne l’un des membres de la coalition : « L’usage unique est devenu le standard de la commodité. Il est temps d’en faire l’exception. » Derrière cette bataille juridique se profile donc un combat culturel : promouvoir les alternatives — couches lavables, protections réutilisables, mouchoirs en tissu — et investir dans la recherche pour des produits biodégradables, compostables, ou durables.
Le Conseil d’État devra trancher dans les prochains mois. Sa décision pourrait contraindre le gouvernement à étendre la responsabilité élargie des producteurs à l’ensemble des textiles sanitaires jetables. Ce serait une petite révolution réglementaire, mais un pas de géant pour la cohérence de la politique environnementale française.
En attendant, les signataires de ce recours appellent à une mobilisation citoyenne. Car au-delà des chiffres, c’est notre capacité collective à repenser le confort et l’hygiène dans un monde aux ressources limitées qui est interrogée. Et si la véritable modernité consistait à concilier intimité, santé, et respect des cycles naturels ?
À suivre :
- La décision du Conseil d’État à l’hiver 2025
- Les évolutions possibles du décret d’application de la loi AGEC
- L’impact potentiel sur les pratiques de consommation
