On pensait la franchise fatiguée, la boucle bouclée, Sylvester Stallone retiré. Et pourtant, après un Rocky Balboa datant de 2006 qui avait su magnifiquement clôturer une saga populaire mythique, voici que débarque ce Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, d’abord, sur les écrans, puis, dans la course aux récompenses prestigieuses (Golden Globe du meilleur second rôle dramatique, nomination à l’Oscar du meilleur second rôle pour Sly).
L’industrie cinématographique hollywoodienne est incorrigible. Alors que depuis une paire d’années (il serait difficile d’énoncer une date précise), Hollywood ne cesse de rebooter, remaker et capitaliser sur des succès franchisés, voir un nouvel épisode de Rocky pourrait faire craindre, inévitablement, le pire. En effet, force est de constater que si quelques films arrivent à sortir leur épingle du lot (quelques X-Men, les Spiderman de Sam Raimi, peut-être le Dark Knight de Chris Nolan par moments), cette mode, ouvertement commerciale, de la construction de saga à outrance, et ce, quelque soit le matériau d’origine — remember Terminator Genesys pour l’exemple symptomatique — n’est jamais un bon signe de vitalité cinématographique (en attendant Avatar 2 et 3 ?). Même le géant de la Terre du Milieu, Peter Jackson, s’est englué dans cette logique avec une série des Hobbit franchement dispensable. « Business Is Business » parait-il et il faut faire plus vite, plus gros, plus fort pour détruire la concurrence, construire un semblant de mythologie, amasser un maximum de pognon. Cynisme triomphant d’une industrie qui tourne à vide, recyclant sans cesse des merveilles pop en produits sans âme. Cette mode de la saga ne date, bien évidemment, pas d’aujourd’hui. Les années 1980 ont été une période faste, quel que soit le genre d’ailleurs. De l’horreur (Freddy, Michael, Jason et leurs copains), à la science-fiction (Alien, Robocop), en passant par la guerre (John Rambo au rapport) et la boxe (Rocky). Et même si la vocation commerciale n’est jamais bien loin, une tendresse, peut-être vintage en 2016, ne peut s’empêcher de pointer le bout de son nez chez un spectateur qui peut y sentir, également, une certaine sincérité.
Tendresse et sincérité. Voici les deux termes qui conviendraient bien au dernier exemple cité. Monument de mise à nu, Rocky, premier du nom, avait su faire d’un Sylvester Stallone, étalon italien mais pas encore superstar, une personnalité qui compte à Hollywood. Les suites de ce coup de maitre initial ne vont que conforter l’humanité qui sommeille dans chacune d’elles. Les esprits les plus obtus ne pourraient y voir que des métrages puérils, bassement à la gloire d’une Amérique éternelle à jamais triomphante et peuplée de « body builders » bas du plafond. La réalité est, pourtant, bien plus complexe. Alter ego de Sly, Rocky est avant tout une autobiographie d’un homme aux multiples facettes, certes parfois bourrin, mais toujours concerné. Oui, Stallone est humain dans son rapport à Rocky, c’est une évidence. Dès lors, il est difficile de ne pas éprouver ne serait-ce qu’un minimum d’empathie envers un acteur-réalisateur qui a su exposer ses forces et ses faiblesses en Mondovision. Tendresse et sincérité. Néanmoins, il est également difficile de comprendre la mise en chantier de ce Creed dont on pourrait sentir le réchauffé à plein nez (Rocky n’est plus le personnage principal, Stallone n’écrit pas ni ne réalise, sous-titre L’Héritage de Rocky Balboa qui peut provoquer l’appel du pied au fan).
Et pourtant, le miracle se produit.
Car oui, derrière une production tirée par les cheveux, une certaine forme de tendresse, définitivement le maître mot de cette saga, arrive à se dégager. Comment ? Première réponse évidente : grâce aux acteurs. En effet, l’interprétation est bien l’un des réels points forts d’un métrage habité. Michael B.Jordan, déjà vu dans un Chronicle à succès, endosse parfaitement le rôle du boxeur néophyte. Autrefois incarné par un Sly qui jouait sur un terreau de simplicité populaire, le sportif en devenir est maintenant une boule de nerf contenue qui ne cherche qu’à exploser. Se rappelant aux bons souvenirs de son rôle de Vince dans les saisons 4 et 5 de Friday Night Lights (meilleure série du monde, faut-il le rappeler), le jeune comédien incarne à la perfection ce mélange d’humanité à (re— )construire et de puissance purement physique. En témoignent, ainsi, les très belles scènes « amoureuses » où, d’ailleurs, sa partenaire Tessa Thompson fait le job avec un personnage également intéressant (un champ/contrechamp très fort lors d’un dialogue obstrué par une porte fermée, comme un symbole) ou la gestion sonore des coups portés sur le ring. L’addition de ces partis-pris rend, définitivement, grâce au projet humain et physique des Rocky. Et puis, il y a, bien entendu, Sylvester Stallone. Ayant mis de côté la cool attitude des Expendables, la star n’a pas oublié qu’il avait obtenu l’un de ses meilleurs rôles dans le Copland de James Mangold en 1997 et que cette dimension presque tragique avait su être réitérée dans Rocky Balboa. Fragile derrière cette grande carcasse, Rocky doit constamment gérer de vieux démons à qui il aimerait pourtant dire, et pour de bon, au revoir. Oui, Sly est un grand acteur. Mieux, il est un véritable seigneur qui bouffe littéralement l’écran et dont la reconnaissance actuelle n’est que le résultat d’une carrière pas loin d’être exemplaire.
Mais des acteurs au sommet de leur forme ne suffisent pas à faire un bon film. Ceux-ci sont, ici, accompagnés par un réalisateur consciencieux. Derrière cette casquette se cache Ryan Coogler, jeune cinéaste (29 ans !) ayant eu la reconnaissance artistique avec son métrage précédent (Fruitvale Station, Grand prix du jury et Prix du public lors du Festival de Sundance en 2013, Prix d’avenir lors d’un Certain regard à Cannes 2013) et qui sait maintenir l’intérêt d’un spectateur qui connait cette franchise par cœur. Si le champ/contrechamp, généralement l’un des parents pauvres de la réalisation alors qu’il est indispensable, propose des symboliques fortes (l’utilisation de la porte, exemple sus-cité, mais également la proposition du premier combat, immédiatement iconique), il faut également mettre en lumière sa science du plan-séquence, motif à juste titre répété, parfaitement immersif et amenant une véritable viscéralité. Les tours de force sont donc palpables et permettent de gommer certaines fautes de goût que l’on mettra, peut-être, sur le compte de la maladresse de l’admirateur. Si le parcours reste mollement calqué sur celui du premier opus de la franchise (le coup des poules, fallait-il vraiment ?), la faute la plus grossière reste bien l’utilisation du thème mythique de Bill Conti, sans doute attendu, mais qui est un contresens pas loin d’être total. L’héritage, comme le sous-titre l’entend, peut-être, mais il faudrait faire attention à ne pas galvauder des instants cruciaux, surtout que la courte séquence précédent ce choix, montage néanmoins malin, veut nous rappeler l’un et non l’autre (pour éviter les spoilers). Mélange des icônes trop lourdes à porter qui nous montre surtout qu’il ne faut pas tout mélanger. Trop de fan service peut tuer le fan service, c’est indéniable.
Heureusement, si la reprise peut être maladroite,
elle peut également être parfaitement respectueuse. Les coupes urbaines en sont le témoignage le plus prégnant. Le cinéaste a su comprendre le positionnement de la ville, Philadelphie, dans le cheminement des personnages. Aérant leur parcours respectif, Philly respire, souffre, mais ne meurt jamais. Le choix de la cité de Pennsylvanie n’est, évidemment, pas anodin. Première capitale des États-Unis, symbole de l’indépendance US, elle est cette petite entité « outsider » qui a su lutter contre les puissants. Comme Rocky, authentique prolétaire cherchant une respectabilité, en son temps. Comme Adonis, fuyant le strass de L.A. pour revenir aux racines, maintenant. Ces choix de montage agissant comme des soubresauts contextuels identifient une réelle poésie aux limites du mélancolique que Ryan Coogler a su moderniser. Si la vision des engins utilisés peut paraître parfois ridicule (sérieusement, ce quad !), c’est par la musique que la dimension contemporaine va réellement fonctionner. Future, John Legend, la légende Nas, les enfants du coin The Roots, autant de bons choix qui font de Creed un épisode de la franchise qui, malgré certaines erreurs formelles, n’a pas abusé de la naphtaline, surtout lorsque l’essentiel des partis-pris donne au spectateur, finalement et pour de bon, la note du caractère purement humain et physique, encore et toujours, du projet. Il est vrai que cet héritage ne se concentre que sur l’aspect initiatique qui occulte sans doute toute logique de message social — alors que le premier épisode est indissociable de son contexte fiévreux des 70’s —, mais qui rappelle, et c’est bien l’essentiel, la force d’une transmission parfois difficile et la possibilité d’un futur toujours ouvert (très beau dernier plan qui conjugue parfaitement ces deux couleurs). À force de chercher, elle est peut-être là, la nouveauté.
Creed : L’Héritage de Rocky Balboa n’est pas un film parfait, tant s’en faut. Auréolé de quelques propositions dispensables, il arrive, néanmoins, à sortir la tête du sac de la mode « franchisée » que nous sert l’industrie hollywoodienne. Surtout, il propose de rester humain, provoquant chez le spectateur le sursaut de tendresse inhérent à cette franchise culte.
Film Creed L’Héritage de Rocky Balboa, film dramatique américain, spin-off de la série Rocky, Ryan Coogler, 2016. 1 h 33
Acteurs : Michael B. Jordan (VF : Jean-Baptiste Anoumon) : Adonis Johnson Creed
Sylvester Stallone (VF : Alain Dorval) : Rocky Balboa
Tony Bellew (VF : Pascal Nowak) : « Pretty » Ricky Conlan
Réalisation : Ryan Coogler
Scénario : Ryan Coogler et Aaron Covington, d’après une histoire de Ryan Coogler et les personnages créés par Sylvester Stallone
Direction artistique : Hannah Beachler
Production : Robert Chartoff, Sylvester Stallone, Kevin King Templeton et Irwin Winkler
Sociétés de production : Chartoff-Winkler Productions, Metro-Goldwyn-Mayer et New Line Cinema
Société de distribution : Warner Bros.
Budget : 35 000 000 USD
Musique : L’album de la bande originale commercialisé par Atlantic Records comprend des chansons de divers artistes de rap comme The Roots, Nas, Joey Badass ou encore Tupac Shakur. Le titre Last Breath de Future contient un sample de Gonna Fly Now composé par Bill Conti pour Rocky en 1976. Certaines chansons n’ont pas été enregistrées spécialement pour le film, comme Bridging the Gap de Nas, présente sur son album de 2004 Street’s Disciple, ou Hail Mary de Tupac Shakur, sortie en single en 1997.
https://www.youtube.com/watch?v=SdFuAA5l7Ms