L’homme et l’animal, des questions éthiques (2/3)

L’homme et l’animal, c’est le titre – et plus qu’un titre – le sujet passionnant du cycle ouvert en janvier aux Champs libres de Rennes. Conférences, projections, débats, ateliers, de nombreux rendez-vous pour questionner les relations et les responsabilités. L’occasion, à travers une série d’articles, de poser les jalons de ce débat qui, bien qu’ancien, ne fait que commencer…

(2e des 3 parties consacrées au cycle des Champs libres L’homme et l’animal, question éthique avec Élisabeth de Fontenay et Georges Chapouthier.)

Homme, animal : éthique et dérives contemporaines

L’éloignement radical

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Photo L214

Cependant, nous vivons une époque dans laquelle le lien entre les hommes et les animaux d’élevage (de même que celui avec les animaux sauvages) est rompu, et où la domination et l’exploitation ont pris une ampleur sans précédent. Alors que l’abattage industriel atteint des paroxysmes d’abomination, trop nombreux sont ceux qui préfèrent ignorer ce que sous-tend la consommation de hamburgers et autres foies gras. Ces horreurs sont une véritable « irresponsabilité vis-à-vis de notre proximité et parenté avec le monde animal, avec les subjectivités animales », s’indigne Élisabeth de Fontenay. « Il faut bien prendre acte que nous sommes marqués en France par nos traditions culinaires […] Étant donné que nous sommes un pays catholique et latin, nous sommes beaucoup plus obtus par rapport à la question  que ne le sont les pays anglo-saxons. Ce n’est pas le cas pour l’Autriche, qui pourtant est catholique, mais c’est vrai pour les Espagnols, les Portugais, les Français et les Italiens, qui sont effroyables par rapport aux animaux. Ils choquent les autres pays d’Europe. » Une bien belle illustration est le cas des poussins broyés, dénoncé par l’association L214.

Comparer l’abattage industriel aux camps d’extermination ?

Le parallèle avec la Shoah est volontiers établi par de nombreux défenseurs de la cause animale, surtout parmi les anti-spécistes. Une comparaison à avancer avec énormément de réserves toutefois : «  L’industrialisation au niveau de l’élevage est ce contre quoi il faut se battre de toutes les façons en étant végétarien ou végétalien – en effet, on tue par exemple des veaux pour pouvoir prendre le lait, ce qui une douleur terrible pour la vache. Ce qui est très intéressant, c’est que tous les grands écrivains et penseurs juifs de la deuxième moitié du Xxème siècle ont fait des comparaisons eux-mêmes avec l’abattage industriel », explique Élisabeth de Fontenay, faisant ainsi référence à Adorno (Juif allemand) et à Vassili Grossman.

homme-animal-question-ethique-champs-libresRomain Gary aussi, sans dénoncer directement l’abattage industriel, a obtenu le prix Goncourt pour Les racines du ciel, « un livre magnifique sur les éléphants ». Toutefois, précise-t-elle : « j’ai beaucoup de scrupules à faire cette comparaison, elle présente des Juifs comme des gens qui n’ont pas du tout résisté. Il ne faut pas consentir à effectuer la métaphore des nazis qui comparaient les Juifs à des animaux. Il y a eu une résistance juive, contrairement aux animaux – même s’il est vrai que certains s’échappent de temps en temps. Cependant, avec beaucoup de prudence, et à la condition que l’on sache de quoi il s’agit, en ne disant pas n’importe quoi, en ne confondant pas camps de concentration et d’extermination, je crois qu’il y a quelque chose de vrai dans cette comparaison […] la sensibilité juive au destin des animaux, cette solidarité de destin entre les hommes et les animaux, est quelque chose dont il faut tenir compte. » Il faut peut-être rappeler ici que la différence fondamentale entre l’extermination des Juifs par les nazis et l’abattage industriel tient au concept de haine raciale, qui n’est pas un présupposé au meurtre des animaux. De fait c’est avant tout la négligence humaine qui atteint des proportions gravissimes, qu’il faut ici dénoncer.

« On a un cœur ou on n’en a pas » : respecter l’humain, c’est respecter l’animal

poules-pondeuses-2010-France--34 L214Chaque année, 58 milliards de mammifères et d’oiseaux, et des milliards de poissons sont tués dans le monde ; un massacre qui passe inaperçu, malgré la trace quotidienne que nous trouvons d’eux dans nos assiettes. Or si l’on se targue de respecter l’humain, peut-on ignorer aussi facilement le sort des animaux ? Élisabeth de Fontenay cite Lamartine : « on n’a pas un cœur pour l’homme et un cœur pour les animaux, on a un cœur ou on n’en a pas ». Cependant se pose cette question simple : peut-on raisonnablement taxer tout le monde de sadisme ? Une interrogation au fond extrêmement sensible puisqu’elle concerne notamment les personnes travaillant dans les abattoirs : Élisabeth de Fontenay nous invite ici à lire les livres que Jocelyne Porcher a écrits sur cette question, celle-ci montrant à quel point ces personnes sont malheureuses : la nature des tâches qu’on leur fait faire, et aussi l’objectif productiviste incessant qui rythme leurs journées sont une évidente source d’angoisses. Prendre conscience que les supplices qu’on inflige aux animaux vont de pair avec la transgression morale, source de désarroi humain, peut nous faire réagir au titre d’êtres doués de compassion que nous aspirons à être.

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