En cette fin de festival Waterproof, Joachim Maudet s’est présenté le 16 février 2024 au Triangle de Rennes en solo. En être hybride troublant notre perception, le danseur use de la ventriloquie pour nous parler de l’état d’adolescence et de l’état d’enfance, à mi-chemin entre les deux.
Ça commence dans le noir complet, des éclats de voix, des rires, des exclamations. C’est d’abord une voix d’homme distingué. Puis il apparaît dans la pénombre, assis sur le sol, immobile. C’est une voix d’enfant désormais qui sort de sous sa capuche. Une histoire de moquerie qu’il raconte avec ses mains qui sont des petits personnages invasifs et vifs, comme La Chose de la famille Addams.
Sa voix se transforme. A-t-il mis un objet dans sa bouche pour ne pas la bouger quand il parle ? Rien ne bouge sauf ses mains et les vibrations du son de sa voix dans la salle. L’histoire d’enfant continue. Mais son corps ne lui appartient pas vraiment. Il est la marionnette de cette voix qui mène l’histoire et de ses mains qui en sont les protagonistes. Les bruitages de jeux de guerre et de cascades habitent parfaitement l’espace de cette épopée.
Et là, rupture, il passe à la verticalité. Il est l’adulte encadrant qui commente les défauts des adolescents, ces êtres bizarres, tyranniques et hargneux, sournois, sadiques et méchants. Il est fébrile, pas très à l’aise. Il n’est lui-même pas tout à fait détaché de cette période. Il incarne l’adulescent qui a pris conscience du regard des autres, qui se sent jugé. Cela provoque un rictus de dégoût sur son visage. Son corps est rigide. Et la voix continue de sortir de quelque part.
Puis il retourne à l’enfance. L’enfant pense “je dois” et calcule le temps qu’il lui reste à attendre. Ce temps long indéterminable pendant lequel il y aura d’autres moqueries, c’est sûr. Il lui faut donc faire en sorte de ne pas ressembler à un bouc émissaire. Il tente de faire comme si. Stratégies, obsessions, ennui. Le stratagème ne prend pas, les autres l’ont grillé. Ils le jugent, commentent son comportement inadapté et inconsistant. Dialogues de voix sous capuche d’un groupe de petits gars maladroits aux rires excessifs. Ils ont des idées de gens qui s’ennuient. Se monter la tête ensemble et le coincer. L’ennui crée la cruauté. Blagues scato, cris et rires mutants à intonations variables.
Là, depuis son corps immobile, sa tête disparaît sous sa capuche. On lui a mis la tête dans les toilettes. L’enfant ne peut plus être. Il retire sa mue, sa peau en imperméable bleu. Il est en état de choc, il faut passer à la suite de cet état inconfortable qu’est l’adolescence. Mais il retourne un peu en arrière, il a besoin de se parler à lui-même : deux voix superposées d’enfants qui dialoguent, “je vais te faire sortir de la cour”. Échapper vite à cette situation d’adolescence, à cette situation de harcèlement.
Soit, retournons-y, dans l’enfance. Dans la cour de récré, il observe timidement les autres qui jouent et crient. Il n’ose pas aller les rejoindre. Il erre, se tortille, se laisse entraîner par la main. Il se replie, il court tout seul, échappe à la course d’un autre, puis court vers rien. C’est la cour bleue-enfance. Sol bleu, plein de rêves et de cachettes, de disparitions et d’emportements. De positions inventées, même qu’on peut s’allonger par terre. Et se cacher dans sa capuche. Disparaître en boule. Et détruire la scène. Tout est possible. Chat qui observe avec amusement le scotch arraché, regarde en dessous de ce qu’on n’est pas sensés voir. Ramper sous l’océan bleu. Disparaître Un chat bien sûr, drôle et mignon, audacieux et malicieux. Qui s’obstine à obtenir un résultat à force de jouer au jeu de tirer sur du scotch.
La gigantesque toile de jeu devient sa nouvelle cape bleue, son nouvel imperméable géant. Et il danse sur la musique bleue de l’année 98 de son enfance. L’imaginaire s’emballe. En voyant ce dragon bleu encapuché tourbillonnant dans la salle sur de la blue techno, mon cœur se serre. Il est heureux.
L’ado a vécu à côté de lui-même dans un état schizophrénique et nostalgique. Il a cherché à faire passer le temps pour passer à autre chose. Et en passant à autre chose, il est redevenu enfant. Et de l’ennui de l’enfant est né le jeu. Du jeu sont arrivées des idées à foison. Idées bleues obsessionnelles à n’en plus finir. Et ce n’est que le début.
Chorégraphie et interprétation : Joachim Maudet
Accompagnement chorégraphique et dramaturgique : Chloé Zamboni
Ecrivaine : Romane Nicolas
Accompagnement voix : Jean Baptiste Veyret Logerias
Création lumière : Nicolas Galland
Régie lumière : Laura Cottard
Création son : Julien Lafosse
Régie son : Rebecca Chamouillet ou Julien Lafosse
Costumière : Camille Vallat
Production : Charlotte Cancé
Administration et production : Aline Berthou & Charlotte Bayle – Aoza Production