Dans son deuxième roman, De Bonnes Raisons de mourir, paru chez Albin Michel, Morgan Audic s’aventure dans la région sinistrée de Tchernobyl où un dangereux meurtrier sévit. Un roman noir au suspens radioactif !
Trois décennies… C’est long… C’est court… D’aucuns n’étaient pas nés en 1986, au moment du cataclysme nucléaire de Tchernobyl en Ukraine ; d’aucuns étaient enfants ; d’autres adolescents, et de nombreux adultes ont vécu en plein ce traumatisme avec les conséquences sur la santé et la nature que l’on a parfois voulu nous dissimuler, voire tempérer, en nous laissant croire que le nuage radioactif, dégagé par les réacteurs en fusion, aurait épargné la France. C’était au temps de l’URSS, alors que la chute du communisme n’avait pas encore eu lieu, temps où de nombreux pays (Russie, Ukraine, Biélorussie…) faisaient encore partie de ce bloc de l’Est.
Dans son roman De Bonnes Raisons de mourir, Morgan Audic revient entre autres sur cette époque qui a traumatisé les Soviétiques de même que l’Europe entière. Il multiplie les allers-retours entre aujourd’hui et cette période des années 80. Un cadavre atrocement mutilé est découvert, suspendu à la façade d’un bâtiment… Cela défraie la chronique dans les petites villes qui environnent la centrale de Tchernobyl, dans ces endroits quasi-fantômes où les gens vivotent comme ils le peuvent, où nombre d’entre eux ont été atteints de cancers multiples, où des femmes ont donné naissance à des enfants atteints de multiples malformations causées par la radioactivité.
Il n’empêche. Un meurtre a été commis et les autorités ukrainiennes mettent un de leurs enquêteurs sur le coup, Melnyk, un flic plutôt efficace qui a été affecté depuis longtemps à la zone de Tchernobyl et qui voudrait bien résoudre cette sale affaire pour revenir à Kiev, zone moins dangereuse. Melnyk va déployer ses ressources et son intuition pour tenter de regagner le respect de sa hiérarchie et celui de son épouse, qui tremble sans cesse à l’idée même que son mari la contamine un jour, car il circule dans des contrées encore polluées par l’accident de 1986.
Mais l’enquête s’avère complexe et difficile. Les autorités supérieures et politiques craignent toujours toutes sortes de complots, les habitants sont peu coopératifs et le ou les tueur(s) qui laisse(nt) des indices inquiétants (des animaux empaillés) semble(nt) plutôt bien organisé(s). Meylnik n’est pas le seul sur l’affaire… De son côté, le détective Rybalko, un ancien de la milice du temps de la Grande URSS, enquête également pour le compte d’un député douteux, Sokorov, père de la victime. Et Rybalko ne manque ni de moyens ni d’astuces, il s’avère même plutôt pertinent dans la mise en place de ses recherches. Ce personnage ferait également seule figure d’efficacité s’il n’était poussé par deux urgences : celle de gagner beaucoup d’argent pour tenter de sauver sa fille de la surdité, celle de réussir sa mission avant de mourir puisqu’il se sait condamné…
Dans ce récit qui ne permet aucune respiration tellement le suspens est entretenu avec maestria, Morgan Audic explore les ambiances post accident nucléaire dans des lieux encore marqués par l’omniprésence du communisme, de tous ses dangers, de toutes ses dérives, par la souffrance des terres, des êtres, de la nature. Le quotidien des uns comme des autres est dépeint sous des ambiances glaciales, des vies marquées par la peur de la maladie, de la pauvreté, d’un climat souvent hostile, de paysages déserts et tristes, d’une corruption omniprésente, d’une suspicion permanente. Et pourtant, les personnages sont attachants de par leur volonté de s’en sortir, de transmettre des valeurs de paix aux leurs, aux autres, de lutter contre un système politique intrusif et toujours destructeur.
Morgan Audic, De Bonnes Raisons de mourir, Paris, Albin Michel, 496 pages. Parution : mai 2019. Prix : 21,90 €.
Morgan Audic est né à Saint-Malo en 1980 et a grandi à Cancale. Il vit depuis plus de dix ans à Rennes, où il enseigne l’histoire et la géographie en lycée. Il est l’auteur de Trop de morts au pays des merveilles, aux Éditions du Rouergue. De Bonnes Raisons de mourir est son deuxième roman.