Les salauds devront payer d’Emmanuel Grand, un polar qui ne perd pas le nord !

S’inscrire dans la vraie vie est une ambition que le polar d’aujourd’hui assume. Avec son deuxième roman, « Les salauds devront payer », Emmanuel Grand démontre que l’on peut apprendre l’histoire contemporaine tout en jouant aux gendarmes et aux assassins. Voyage au pays du chômage et de la désespérance sociale.

 

emmanuel grandC’est un pays où la serpillière s’appelle wassingue. C’est un monde où le ricard et le pernod laissent la place à la jenlain et à la trappiste. C’est un paysage où le ciel a la couleur de l’ardoise. Et pourtant Pauline, jeune paumée attachante, l’aime ce couvercle qui écrase parfois la ligne d’horizon, qui étouffe souvent les secrets inavouables. Elle l’aime, mais elle rêve quand même du Brésil et de la chaleur étouffante d’un pays imaginaire, d’un pays où le chômage et la précarité ne brisent pas votre élan, ne cassent pas vos espoirs.

Car à Wollaing, ville proche de Valenciennes, depuis la fin de la sidérurgie et de l’usine Berga, tout s’est délité et la place est libre pour les prêteurs sur gages, pour tous les trafics, pour le désespoir.

Sortir de cette spirale nécessite de prendre des risques et d’oser mettre sa vie en jeu. Ou d’oublier et faire oublier son passé. Sinon les cadavres s’accumulent et dans le deuxième roman d’Emmanuel Grand, les assassinats vont suivre la courbe locale du chômage.

Pas de doutes en effet, dès les premières pages, nous sommes bien dans un polar, mais un polar à la Didier Daeninckx entrecroisé d’une enquête à la Mary Higgins Clark. L’enquête menée par un vieux baroudeur et une jeune inspectrice, on ne peut toujours éviter les archétypes, est finement menée et entraîne le lecteur-enquêteur de surprise en surprise, le prenant par la main de la première à la dernière page ce qui est quand même la qualité première attendue d’un bon roman policier. L’auteur aime expliquer qu’il écrit en sachant précisément où il veut aller et qu’il ne peut commencer à écrire que lorsque son récit est précisément structuré. À la lecture on comprend cette exigence.

Emmanuel GrandMais le polar ne saurait aujourd’hui se résumer à une énigme et ce roman s’inscrit parfaitement dans cette veine du polar social qui sait ne pas oublier le sens du récit. C’est le Nord qui est le véritable personnage central du roman, le Nord et son passé, celui d’une économie violente et inhumaine où les patrons se croyaient tout permis, où les milices patronales affrontaient les syndicats, où l’on pouvait tuer pour défendre une cause. Mais ce Nord industriel offrait du travail aux hommes de père en fils. À l’usine « la vie n’était pas rose, mais dans la région depuis un siècle c’était elle qui faisait vivre les gens. Aujourd’hui Wollaing a perdu son cœur. (…) la ville n’est plus que l’ombre d’elle même ». Emmanuel Grand sous le prétexte d’une enquête contemporaine nous invite à revisiter à travers des multiples secrets familiaux ou de classe une époque pas si lointaine qui hante toujours les paysages d’usines désaffectées ou de montagnes noires, vestiges du travail harassant d’hommes pour qui le métier était l’essence même de la vie.

Fidèle aux principes du néo-polar d’après mai soixante-huit, on s’immerge parfaitement dans une région décrite sans convention ou folklore. Bien entendu on se retrouve devant une baraque à frites ou dans un estaminet à trinquer au bar, mais ce n’est pas le nord des « Ch’tis » qui est décrit. C’est celui des luttes sociales des années quatre-vingt quand la sidérurgie meurt à petit feu, subsistant grâce aux perfusions des subventions gouvernementales. C’est celui des conflits syndicaux et c’est l’occasion de retrouver toute une galerie de portraits attachants ou détestables : le briseur de grève, le médecin véritable assistant social, le patron cynique et sans scrupule, le syndicaliste idéologue et le syndicaliste sincère et désintéressé, l’épicier arabe. Pas de nostalgie, ce monde était celui du rapport de forces perpétuel, mais un rappel utile d’un plein emploi qui structurait une société.

Ce passé, qui n’ignore pas les guerres d’Indochine ou d’Algérie, explique les malheurs d’aujourd’hui : un monde s’est écroulé et se trouve remplacé par le vide qui laisse la place aux trafiquants, au racisme, à la montée des extrêmes. Wollaing nous rappelle étrangement des villes réelles placées sous les feux d’actualité à chaque élection locale ou nationale et toute ressemblance avec des évènements ou des lieux existants ou ayant existé n’est pas forcément fortuite.

Jean Paul Kauffmann écrivait au sujet des faits divers qu’ils « traduisent bien mieux la réalité sociale que le discours politique ». Fidèle à ce principe et dans un registre de fiction, Emmanuel Grand nous rappelle les radioscopies régionales des articles de Florence Aubenas dans Le Monde. Les chroniques sociales comme le roman délivrent en fait un message unique : ces régions sont à l’abandon.

« Les salauds devront payer », dit le titre. Probablement. Mais seront-ils les seuls ? Probablement pas…

Roman Les salauds devront payer, Emmanuel Grand, Editions Liana Levi, 380 pages, 20 euros, e-book 14,99 €

Né en 1966, Emmanuel Grand vit en région parisienne et s’est immergé dans la région du Nord pour les besoins de son ouvrage. Son premier polar, Terminus Belz, a été sélectionné pour le Prix du meilleur polar des Editions Point et le Prix du Polar SNCF 2016, il a remporté les prix PolarLens et Tenebris, un bien beau palmarès pour un premier roman !

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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