UD – Vous vous attachez à montrer une partie de ce que vivent et ressentent des croyants chrétiens dans une période déchristianisée. Des croyants, faut-il dire, qui sont parfois stigmatisés et perçus comme des arriérés. Il est rare aujourd’hui que ce sujet soit traité d’une manière neutre et romanesque. Mais, certes, Danse avec Jésus n’est une apologétique. Pas plus qu’il n’est un documentaire sur un conservatoire d’un nouveau type (qui pour certains fait figure de zoo). Serait-ce une contribution à la mise en exergue des dimensions, formes et textures de fragilité et de grâce qui caractérisent la foi de nombreux croyants authentiques ?
J.L. – La fragilité et la grâce sont pour moi des entités autonomes, sauvages, qui peuvent se trouver partout, dans la foi comme dans son refus. La manière dont je fouille les consciences des personnages est d’abord une invitation à se mettre à leur place, qu’ils soient chrétiens ou non ; c’est pour moi une condition à la notion même de roman : emmener le lecteur en voyage, lui permettre de se quitter momentanément, de suspendre son jugement, pour éprouver les sensations intimes d’un autre. Il s’agit ensuite de mettre en scène la vie spirituelle comme une composante esthétique de la nature humaine, de produire une impression de beauté qui transcende les questions d’adhésion ou de rejet. Pour rejoindre ce que vous dites, concernant mes personnages de paroissiens engagés, la question qui m’intéresse n’était pas : « sont-ils d’aujourd’hui ou d’hier ? », ou « ont-ils raison ? », mais plutôt : « où est leur grandeur ? » et « qu’est-ce qui peut justifier esthétiquement l’appartenance au christianisme ? »
Dans Danse avec Jésus, Jean a une rencontre avec le Christ qui fait qu’il renonce à son activité de notaire et qu’il se consacre ensuite à aider les autres ? Est-ce une expérience de détachement que vous vivez à travers lui ? En outre, Jean est-il une figure de l’Evangéliste ou du Précurseur ou des deux ?
Je dirais plutôt que Jean fait une expérience d’attachement. Il a quitté une existence en contradiction avec le message évangélique pour s’attacher réellement à Jésus. N’ayant pour ma part jamais été dans une situation de respectabilité bourgeoise, si je devais « suivre le Christ » je n’aurais à renoncer à rien de social ni de matériel… il faudrait plutôt que je me détache de ma vocation de créateur, ce qui ne serait pas une mince affaire. Je m’imagine plus facilement renoncer à une situation de notaire ! Quant au choix du prénom Jean, c’est « le disciple que Jésus aimait », son successeur auprès de Marie, presque son double… il a un côté « premier de la classe » qui fait rêver, mais suscite aussi l’exaspération du rebelle qui se dit : « Où est la faille ? Qu’est-ce qui se cache derrière toute cette perfection ? » Et quand on cherche la faille, bien souvent, on la trouve… c’est toute l’histoire de Jean Sauveur avec son fils Christian, qui récuse, quant à lui, toute idée de croyance.
Vous êtes en résidence d’écriture à la Maison de Louis Guilloux à Saint Brieuc jusqu’au mois de janvier 2012. D’une part, comment ‘ressentez’-vous le territoire breton ? D’autre part, cette résidence est-elle féconde, autrement dit : travaillez-vous à un troisième roman ?
Je suis frappé par le calme et la douceur de Saint-Brieuc. Le paysage m’étonne beaucoup, la manière dont on y surplombe la mer est impressionnante : d’abord discrètement, par un plateau à peine vallonné, puis très brusquement, on se retrouve en haut de collines qui plongent dans l’eau comme des montagnes. C’est magnifique. Je suis là pour trois mois, accueilli dans la maison de Louis Guilloux, dans des conditions de rêve pour travailler à mon troisième roman, en parallèle à l’animation d’ateliers d’écriture sur le même sujet. Il y sera encore question de foi catholique, mais beaucoup plus discrètement, ce ne sera cette fois qu’une des explications de l’histoire…
Propos recueillis par Nicolas Roberti
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Entretien > Jérémie Lefebvre l Danse avec Jésus