Exposition Marie-Laure de Decker à la MEP : une leçon de regard et de responsabilité

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Marie-Laure de Decker

Du 4 juin au 28 septembre 2025, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) consacre à Marie-Laure de Decker la première grande rétrospective de son œuvre. Une plongée magistrale dans le parcours d’une photographe de guerre, de cinéma et d’intime où chaque image est un acte d’engagement au regard de l’Histoire.

La MEP n’avait jusqu’ici jamais exposé à cette échelle le travail de Marie-Laure de Decker. Avec près de 280 tirages, l’exposition L’image comme engagement propose une traversée saisissante de cinq décennies de photographie, de conflits armés en scènes intimes, de visages anonymes en icônes du XXe siècle. Photojournaliste indépendante, Marie-Laure de Decker a parcouru certains des théâtres les plus tragiques du XXe siècle : Vietnam, Tchad, Biafra. Son appareil n’est jamais simple observateur ; il capte le tragique du monde sans céder à la spectacularisation de la souffrance. Ici, le reportage devient responsabilité.

S’engager sur ces terrains au cœur des conflits armés fut, pour une femme, un choix de vie rare et radical. Passion, risques, solitude et renoncements accompagnent sa trajectoire. Le commissariat de l’exposition, assuré par Victoria Aresheva, souligne combien cette position dans un monde masculin n’a jamais détourné Marie-Laure de Deckerr de sa quête d’intégrité. Elle appartient ainsi à la lignée des pionnières du photojournalisme féminin, aux côtés de Gerda Taro ou de Christine Spengler.

Loin de toute complaisance sensationnaliste, les clichés de guerre de Decker privilégient l’humain au spectaculaire. Les enfants réfugiés, les visages des civils, les soldats exténués apparaissent dans une tension où la douleur se donne à voir sans se livrer au voyeurisme. L’utilisation constante du noir et blanc renforce cette pudeur du regard. Le choix esthétique devient ici choix moral. Comme l’écrivait Susan Sontag, la photographie ne peut pas ne pas avoir d’intention.

La rétrospective rappelle avec force combien le parcours de Marie-Laure de Decker s’inscrit dans une histoire du photojournalisme longtemps dominée par les figures masculines. À l’instar de ses aînées et contemporaines Gerda Taro, Dorothea Lange ou Christine Spengler, elle incarne un regard féminin sur la guerre et l’histoire. Chez Marie-Laure de Decker, la guerre ne se réduit pas à la confrontation armée. Ce sont aussi les attentes, les déracinements, les errances, les corps déplacés. La photographe met en scène les interstices de la guerre — ses marges humaines — avec une attention minutieuse.

L’exposition révèle aussi une autre facette essentielle de son œuvre qui est le portrait. De Roland Barthes à Catherine Deneuve, de Sartre à Truffaut, Decker excelle à capturer cette vibration intérieure du sujet. Ses photographies politiques, comme le célèbre cliché de Giscard le soir de son élection en 1974, conjuguent immédiateté de l’information et subtilité d’analyse. Ses portraits échappent à la pose figée ; ils saisissent le fragile instant où l’intime se dévoile sans s’exhiber. Ce punctum barthésien — cette piqûre de réel qui traverse la surface de l’image — irrigue tout son travail de portraitiste. Une économie de moyens qui laisse toute la place à la densité de présence des modèles.

Sobre, fluide, sans effets inutiles, la scénographie de la MEP accompagne admirablement le spectateur d’un registre à l’autre. Des grands formats de guerre aux petits tirages intimes, l’exposition donne à ressentir cette diversité de tons sans chercher à uniformiser artificiellement l’œuvre. La monographie publiée en parallèle par les Éditions de La Martinière prolonge avec rigueur et richesse le travail de valorisation entrepris par la MEP.

En offrant cette rétrospective à Marie-Laure de Decker, la MEP opère un geste de réparation symbolique. Non seulement vis-à-vis d’une photographe longtemps reléguée en marge des canons de l’histoire de l’art, mais aussi envers le photojournalisme lui-même, trop souvent considéré comme mineur face à la photographie dite « artistique ». L’œuvre de Decker démontre magistralement que l’exigence documentaire peut atteindre une forme de poésie tragique et d’intelligence visuelle.

Informations pratiques

Exposition : Marie-Laure de Decker — L’image comme engagement
Lieu : Maison Européenne de la Photographie (MEP), Paris
Dates : du 4 juin au 28 septembre 2025
Monographie : Marie-Laure de Decker, Éditions de La Martinière

Marie-Laure de Decker, itinéraire d’une photographe engagée

Née en 1947, Marie-Laure de Decker commence sa carrière comme mannequin avant de bifurquer rapidement vers la photographie. Au début des années 1970, elle intègre l’agence Gamma et choisit de se spécialiser dans le reportage de guerre.

Sur les terrains du Vietnam, du Tchad, du Biafra, elle documente les conflits armés sans jamais céder à l’esthétisation de la violence. Son approche privilégie toujours la figure humaine, qu’elle soit victime ou acteur de la guerre.

En parallèle de son travail de reportage, Decker s’impose aussi comme portraitiste des grandes figures intellectuelles et artistiques du XXe siècle. Sa pratique conjugue ainsi rigueur documentaire et sensibilité esthétique.

Longtemps moins médiatisée que ses homologues masculins, son œuvre connaît aujourd’hui une réévaluation critique majeure. Cette première grande rétrospective à la MEP consacre la place singulière qu’elle occupe dans l’histoire du photojournalisme contemporain.

Monographie Marie-Laure de Decker, exposition Maison Européènne de la Photographie, 4 juin -28 septembre 2025, 45€
Editeur La Martinière, 256 pages, 45€ ISBN : 9791040123026

Crédits photos MEP