Travelling, le festival de cinéma (et plus) organisé par l’association Clair Obscur, revient pour sa 35e édition du 20 au 27 février 2024 à Rennes. Avec sa catégorie emblématique Urba[ciné], chaque année Travelling oprère un focus sur une ville afin de la représenter à travers son cinéma. Cette année Taipei, la capitale de Taiwan, et sa richesse culturelle sont mises à l’honneur avec comme invités les cinéastes Midi Z, Singing Chen et Lee Mi Mi. Rencontre avec Anne Le Hénaff, responsable artistique de Clair Obscur.
Pour créer la programmation de la section Urba[ciné], les membres de l’association Clair Obscur se sont fondés sur la nouvelle vague qui débute à Taïwan au début des années 90. Cette période correspond à la fin de quasi trente ans de dictature sous le joug du parti nationaliste chinois. Cette libération a permis aux cinéastes une plus grande liberté et une diversité des moyens de production et d’écriture.
Plusieurs films de cinéastes taïwanais de cette nouvelle vague seront présentés durant le festival. Notamment ceux de Edward Yang, l’un des piliers du cinéma dans le monde, ou ceux de la réalisatrice Hou Hsiao-Hsien et du réalisateur Tsai Ming-liang. Et bien sûr, Midi Z et Singing Chen qui seront les invités d’honneur de cette édition. Le festival Travelling présentera également un focus sur le cinéma aborigène taïwanais en passant par le regard des réalisatrices Laha Mebow et Wu xia pian. Unidivers a rencontré Anne Le Hénaff pour qu’elle nous parle de ces cinéastes ainsi que de Lee Mi Mi, l’une des premières femmes réalisatrices taïwanaises, également présente à cette 35e édition.
« Les figures de proue du cinéma de la nouvelle vague taiwanaise en ce moment sont midi z et singing chen. d’une part, ils font le cinéma taiwanais d’aujourd’hui et d’autre part, ils ont une filmographie qui nous permet de bâtir un ensemble afin que leurs ŒUVRES soient connues et accompagnées le temps d’un festival. »
Anne Le Hénaff
Midi Z
À voir pendant Travelling : Return to Burma (2011), Poor Folk (2012), The Palace on the sea (2014), Ice Poison (2014), Adieu Mandalay (2016), 14 Pommes (2018), Nina Wu (2019) et The Clinic (2024) en avant-première.
« Ce que je trouve intéressant chez Midi Z, ce sont ses protagonistes. Dans toutes les histoires qu’ils racontent, qu’ils soient trafiquants de drogue ou non, il y a toujours la question des gens ordinaires. Ses films sont tendres et sans concession, et ils offrent aussi une plongée inédite dans le quotidien de la diaspora chinoise et du sud-est asiatique. Lui-même est birman, il a aussi connu cette migration familiale de celles et ceux qui cherchaient à travailler en Chine pour avoir un avenir meilleur. Il sait ce que c’est que de se retrouver à Taiwan, une terre de migration, un lieu où on se disait que les moyens de vivre allaient permettre de sortir de sa condition. Son cinéma est toujours à la lisière de la fiction et du documentaire. Ce sont des films très hybrides, mais quelque part il s’appuie aussi sur des réalités qu’il connaît.
Il consacre son film 14 Pommes à l’un de ses anciens acteurs qui s’est engagé dans une transition pour devenir moine. L’approche du réel se retrouve aussi dans Adieu Mandalay où justement il dépeint les péripéties de deux jeunes immigrés jusqu’en Thaïlande. Et tout ça avec un style très naturaliste. Dans Ice Poison, il fait référence à une drogue de synthèse et puis finalement on y découvre le destin croisé d’un couple atypique entre une femme qui fuit un mariage arrangé en Chine et un ancien fermier reconverti en chauffeur. Il raconte ces histoires d’individus qu’on pourrait quelque part traiter de déclassés, mais qui développent des relations. Je trouve que Midi Z capture toujours avec pudeur, c’est ce qui fait la force de son cinéma. Mais il aborde aussi de plein fouet les problématiques sociales de la pauvreté et de l’immigration économique. D’histoires qui sont de l’ordre de l’intime et de l’ordre d’un territoire, il renvoie aussi à une université de ce que peuvent-être les exils et les migrations. Nina Wu marque cependant un tournant dans son cinéma. Cette fois-ci, le film se déroule vraiment à Taipei, il peint le destin d’une jeune actrice à qui on offre un rôle, le rôle de sa vie dans un film d’espionnage et on la suit au quotidien.
Nous allons aussi présenter son dernier film en avant-première : The Clinic, un documentaire. Midi Z va retourner à Rangoun (Birmanie) et suivre deux pharmaciens. Sa filmographie a un écho ici en Europe et plus largement. Il continue à tourner entre Taiwan, Birmanie ou même aux États-Unis. »
Singing Chen
À voir pendant Travelling : Bundled (2000), God, Man, Dog (2007), The Clock (2011), The Pig (2014), The Walker (2015), In Trance We Gaze (2018), The Man Who Couldn’t Leave (2023) – une expérience en réalité virtuelle / Venice Immersive.
« Nous allons montrer l’œuvre de Singing Chang en quasi intégralité, c’est la première fois pour elle dans le cadre d’un festival en France. Cette réalisatrice explore un grand nombre de disciplines et de problématiques, comme l’art, le son, l’humanité et les conditions des gens. Ce que j’aime surtout dans sa démarche, c’est qu’elle s’ancre dans le courant du réalisme magique afin de dénoncer des réalités, certaines absurdités ou certains conservatismes qui ont encore leur place dans la société contemporaine taïwanaise. Du point de vue de la forme, elle passe du cinéma court au long, du documentaire à la fiction. Elle joue aussi avec la réalité virtuelle, notamment avec The Man Who Couldn’t leave que nous allons montrer pendant Travelling. Ses récits sont étroitement structurés et ils développent des émotions subtiles. Elle est aussi capable de capturer avec une forme d’humour les problèmes de la société contemporaines et historiques. Son travail est particulier et de longue haleine et même si ses films sont peu diffusés en France, elle a une reconnaissance mondiale.
Son œuvre VR, pour laquelle elle a été primée à Venise, raconte la terreur blanche [emprisonnement ou exécution des chinois opposés au parti nationaliste et à la politique de Tchang Kaï-chek de 1949 à 1987, la nouvelle vague correspond à la période qui suit, Ndlr.]. Elle met en scène un homme anciennement détenu et elle te transporte au sein du cachot dans lequel il était enfermé. Je crois que la forme VR est vraiment celle qu’il fallait pour raconter cette histoire, cette écriture permet de se retrouver au cœur de cette prison. Elle a aussi fait un super film qui s’appelle God, Man, Dog qui permet de plonger au cœur de la société et de la culture taïwanaise.
Comme avec Midi Z, il y a l’idée de raconter les histoires des gens. Elle va le travailler de manière encore différente. Je crois que tous ses films traduisent l’acuité du regard qu’elle porte sur cette société contemporaine, ses personnages, réels ou imaginés sont le reflet des différentes composantes de la société taïwanaise. Elle raconte l’existence des taïwanais, mais à côté de ça, elle travaille d’autres problématiques, elle imbrique aussi la question des cultures, des traditions, de la foi, ce qui fait que tous ses récits sont emphatiques. La manière qu’elle a de composer à l’écran est aussi intéressante, elle a vraiment un langage cinématographique qui lui est propre et distinct. »
Lee Mi Mi
À voir pendant Travelling : Evening News (1980), Unmarried Mothers (1980), Girl’s School (1982)
« Lee Mi Mi est une des premières femmes cinéastes taïwanaises, elle n’est plus en activité, mais elle a tourné un moment. Nous allons montrer trois de ses films qu’elle a réalisé dans les années 80. J’ai été impressionné par sa manière de tisser les histoires, de montrer vraiment le quotidien des taïwanais à cette époque. Ses personnages féminins sont incontournables dans son cinéma. Le tout est mené avec audace, d’autant plus qu’ils ont été tournés pendant la dictature. Il y a des histoires de sororité qui transparaissent avec force dans ses films. On peut presque parler d’une utopie féminine.
Le TFI (Taiwan Film Institute) a fait un gros travail de restauration sur des films taïwanais, pleins d’entre eux vont passer à Rennes pendant Travelling dont les siens. Ils sont tous totalement inédits en France et la cinéaste sera présente ce qui est exceptionnel parce qu’elle est âgée maintenant. »
Tous les films sont diffusés en vostfr, retrouvez les horaires de diffusion des films des cinéastes invités dans la grille horaire de Travelling.
Une grande partie de la programmation de Travelling 2024 reste à découvrir. Des séances spéciales, la sélection Junior, À l’Ouest !, Musique & Cinéma invoque aussi une large proposition de films de différents mondes. Plus qu’un festival de cinéma, la musique, les arts visuels et numériques ont aussi leur place dans des expositions, des concerts, des ciné-concerts et des séances de réalité virtuelle. Plusieurs actions culturelles sont également mises en place en lien avec les différents établissements scolaires de la ville. Enfin, Travelling propose aussi des rencontres professionnelles, avec l’annuel European Short Pitch et autres événements en partenariat avec Films en bretagne. Découvrez toute la programmation sur le site et les réseaux sociaux de Travelling.
Le festival organise une compétition Junior petits et grands dont l’un des trois prix est décerné par une sélection d’enfants de huit à dix ans. Ils sont accompagnés cette année par une marraine et un parrain, tous deux réalisateurs de films d’animation : Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi. Les films sélectionnés sont divisés en trois programmes de courts métrages que vous pouvez retrouver sur la page compétitions de courts métrages du site internet.
INFOS PRATIQUES
Clair Obscur est une association dédiée au cinéma qui propose toute l’année une sélection de films pour petits et grands. Leur événement phare est le festival Travelling qui depuis 35 ans revient chaque année avec des films et autres propositions artistiques.
Quand ? Du 20 au 27 février 2024
Où ? Dans les salles de Rennes, Rennes métropole et en Bretagne
Les lieux partenaires
QG et concerts gratuits (tous les soirs à partir 22h) : L’Étage du Liberté, Rennes (centre-ville)
Programme en pdf – grilles horaires
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