FILM CHERCHEZ LA FEMME, FARCE RADICALE

Le titre du film Cherchez la femme est annonciateur d’une farce. Grâce au travestissement, Armand (Félix Moati) tente de dissimuler son aventure avec Leïla (Camélia Jordana). La raison ? Mahmoud (William Lebghil), le frère de Leïla, fraîchement rentré du Yémen, refuse que sa sœur fréquente cet homme.

 

Armand et Leila, étudiants à Science Po, forment un jeune couple. Ils projettent de partir à New York faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais quand Mahmoud, le grand frère de Leila, revient d’un long séjour au Yémen qui l’a radicalement transformé, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand. Pour s’introduire chez Mahmoud et revoir Leila, Armand n’a pas le choix : il doit enfiler le voile intégral ! Le lendemain, une certaine Shéhérazade au visage voilé sonne à la porte de Leila, et elle ne va pas laisser Mahmoud indifférent…

CHERCHEZ LA FEMME

Le film Cherchez la femme traite de la radicalisation de Mahmoud. La radicalisation, un sujet particulièrement complexe à aborder tant il est au cœur d’une angoisse bien actuelle. La réalisatrice Sou Abadi livre ici une comédie qui, plutôt que de se focaliser sur les extrémismes, les interroge par le biais des rapports interpersonnels.

CHERCHEZ LA FEMME

D’emblée la bande-annonce du film Cherchez la femme pourra inquiéter… tant elle semble s’inscrire dans la veine des ces films récents qui cherchent à faire rire en reproduisant des clichés et donnant raison aux préjugés. Cela étant, le déroulé de Cherchez la femme rassure. Si le spectateur rit du personnage de Mahmoud dont la radicalisation est tournée en dérision, il rit aussi d’Armand et Leïla, élèves de Sciences Po (« sciences pipeau »), des parents d’Armand, militants rive gauche jusqu’au ridicule, voire également de tous les personnages. Le rire n’est pas punitif, mais bienveillant dans la mesure où ce sont les incohérences ou la naïveté des personnages qui provoquent le rire, plutôt que les personnes elles-mêmes.

CHERCHEZ LA FEMME

Cela étant, certaines blagues laissent sceptiques. Telle la comparaison par Leïla du niqab à une tente Quechua. Dommage, car le film Cherchez la femme aspire à être intelligent et réconciliateur. En outre, la différence avec d’autres comédies repose dans la manière avec laquelle sont filmés les personnages. Si la radicalisation de Mahmoud fait de lui le méchant du film dans les premières scènes, le regard déconstruit peu à peu cette image afin d’en révéler la complexité. Sans jugement sur celui qui va pourtant jusqu’à séquestrer sa sœur, le film dresse le portrait d’un jeune homme perdu pour qui la religion fait office de béquille. Lors d’une scène conflictuelle avec sa sœur, Mahmoud lui explique qu’il a besoin de croire afin de faire face aux épreuves de la vie. Une scène très touchante où la fragilité du jeune homme n’est pas moquée, mais sublimée. Ainsi, sa radicalisation est tournée en dérision, mais sa foi ne l’est pas ; un point très appréciable.

CHERCHEZ LA FEMME

Si la dimension poétique du film Cherchez la femme n’est pas explicite dans la bonne-annonce, il s’y révèle à travers des citations élégantes des versets du Coran, des vers de Victor Hugo ou des extraits du magnifique et soufi Cantique des Oiseaux. La spiritualité y est évoquée en filigrane : Leïla rappelle les préceptes de la religion à son frère ; Armand se plonge dans multiples lectures sur l’Islam afin de mieux coller au personnage de… Shéhérazade.

Finalement, on comprend que Mahmoud est un être perdu et naïf chez qui la mort de ses parents a ouvert un manque qu’il aspire à combler. Sa radicalisation n’est pas justifiée, mais subtilement sont posés des indices qui invitent le spectateur à mieux le comprendre. Son discours, souvent émaillé d’incohérences, pointe certaines vérités factuelles et invite à la réflexion ; ainsi s’indigne-t-il qu’un État parque ses citoyens dans des HLM sans aucune volonté de les en sortir.

CHERCHEZ LA FEMME

Parler de radicalisation en 2017 en France est chose mal aisée. Réussir à traiter du sujet sous forme d’une comédie, sans tomber dans le renforcement des clichés préexistants ou la moquerie à outrance d’une communauté déjà stigmatisée l’est plus encore. Si on félicite la réalisatrice du film Cherchez la femme de sa capacité à tourner en ridicule l’ensemble des personnages, l’utilisation de certains clichés reste malheureuse. Mahmoud est un jeune radicalisé violent qui tente d’enfermer sa sœur, mais Leïla, jeune fille des quartiers, est sauvée par ses études à Sciences Po et par son petit ami blanc qui connaît mieux le Coran que les musulmans. On regrettera également le « white-washing » d’Armand dont les parents sont Iraniens, mais qui est joué par un acteur (Félix Moati) dont le physique est bien peu de type iranien. Des maladresses qui participent à conforter des clichés.

Félix Moati (Armand) et Sou Abadi (réalisatrice) lors de la rencontre presse à Rennes

La réalisatrice Sou Abadi a fui l’Iran à l’âge de 15 ans. Elle a connu la vie sous la dictature et fait référence à certaines de ses expériences dans le film Cherchez la femme. Certaines scènes susceptibles de laisser dubitatives prennent sens lorsque l’on connaît son parcours et sa volonté de retraduire dans son film des expériences personnelles ou rapportées. Il en va ainsi de la scène du bus où la mère d’Armand s’insurge de voir une femme en niqab et évoque ses sœurs en Iran qui, elles, se battent pour ne pas être couvertes. Cette réplique est issue de conversations avec plusieurs Iraniennes qui ont confié à Sou Abadi leur incompréhension à l’égard de femmes en France qui se battent pour porter leur voile alors qu’elles-mêmes luttaient en Iran pour obtenir la liberté de le retirer. Si Sou Abadi réclame la liberté pour chaque femme de pouvoir choisir ce qu’elle porte, la réalisatrice rappelle deux points : la religion doit rester dans la sphère privée, une fois au pouvoir elle devient toujours dangereuse pour les libertés individuelles ; conformément à l’avis de la grande majorité des théologiens musulmans, le port du voile intégral n’est pas une prescription religieuse.

Sou Abadi a eu l’idée du voile comme camouflage lorsqu’elle a entendu, il y a quelques années, une interview de Hojjat-ol-eslam Rafsandjani, l’un des dirigeants de la République islamique d’Iran. Il y racontait qu’avant la révolution, pour échapper à la police du Shah, il avait dû porter le voile et se faire passer pour une femme pieuse. D’ailleurs, au fur et à mesure que le personnage d’Armand se  travestit en niqab, il expérimente la vision des femmes voilées ainsi que « les regards méprisants » rencontrés. Félix Moati, en jouant ce rôle a ressenti l’hostilité des gens lorsqu’il portait le niqab durant le tournage des scènes. Il s’en est trouvé fort attristé.

FILM CHERCHEZ LA FEMME

Sans être promis à devenir une référence en matière de comédie, le film Cherchez la femme évite les pièges regrettables dans lesquels tombent nombre de films qui se sont emparés de ce sujet polémique ces dernières années. Malgré de nombreuses maladresses, il ouvre la voie à de prochaines comédies qui chercheraient à faire rire de façon intelligente sans dénigrer ni les personnes ni les communautés.

Film Cherchez la femme, sortie 28 juin 2017, Sou Abadi, 1h28

CRÉDIT PHOTO : Elsa Seignol

FICHE TECHNIQUE
RÉALISATION Sou Abadi
SCÉNARIO Sou Abadi
PHOTOGRAPHIE Yves Angelo
MONTAGE Virginie Bruant
SON François Walesdich, Aymeric Devoldère, Florent Lavallée
PRODUCTION Michael Gentile
DISTRIBUTION Mars Films

INTERPRÉTATION PRINCIPALE
Félix Moati (Armand)
Camélia Jordana (Leila)
William Lebghil (Mahmoud)
Anne Alvaro (Mitra)
Carl Malapa (Sinna)
Laurent Delbecque (Nicolas)
Miki Manojlovic (Darius)

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Née au bord de la Mer Caspienne en Iran, Sou Abadi est arrivée en France à l’âge de 15 ans après avoir grandi sous deux dictatures. Elle a abordé le cinéma par le biais du montage, puis la réalisation de documentaires. Son premier film S.O.S à Téhéran, un long métrage tourné avec la méthode du cinéma vérité, a nécessité six mois de tournage, et a été salué comme l’un des documentaires les plus audacieux sur la société iranienne. En 2012, après avoir développé plusieurs projets de documentaires, elle décide de se lancer dans l’écriture de sa première fiction, le film Cherchez la femme.

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Maureen Wilson
Maureen Wilson est étudiante en 4e année à Sc. Po. Elle réalise son stage de web-journalisme à Unidivers.

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