Pourquoi une théologie de la provocation ? Selon Gérard Conio (slaviste et éminent spécialiste des avant-gardes russes et polonaises), le principe totalitaire dérive (en les inversant) de conceptions théologiques. La figure littéraire du double et les méthodes policières de l’agent double ou provocateur se trouveraient également engagées dans la trouble généalogie de notre modernité. Plus que provocant : un essai déroutant et vivifiant !

Les utopies modernes ont travesti et récupéré à leur profit l’attente de la rédemption qui a nourri la civilisation judéo-chrétienne. La théologie de la provocation qui règne aujourd’hui sur le monde ne fait qu’appliquer dans ses plus extrêmes conséquences la transmutation des valeurs proclamées par les prophètes de la modernité , fossoyeurs de la tradition et annonciateurs d’une liberté illimitée qui n’est que le masque de l’esclavage absolu. Cette ambivalence a engendré de nouveaux dogmes, beaucoup plus simplistes, plus triviaux, plus avilissants que les anciens. En assimilant la triade platonicienne de vrai du beau et du bien au culte de la rupture et de la nouveauté, on a dissimulé la véritable signification de la révolution moderniste. p. 23

C’est ce que semblaient avoir compris les conspirateurs et les provocateurs de tous poils bien avant les autres. C’est aussi ce qu’avaient saisi certains de ceux, penseurs et littérateurs, qui avaient maille à partir avec le langage qui, en définitive, se trouve être le vecteur principal de cette Histoire qui finie toujours mal (les figures centrales de cette étude sont le révolutionnaire et agent double Azev, proche des milieux prérévolutionnaires de l’intelligentsia russe, et l’écrivain polémiste Vasilli Rozanov).
Les leçons du passé nous apprennent que les tentatives de rébellion sont des remèdes pires que le mal. Toutes les révolutions ont été des provocations qui ont accéléré la marche de l’histoire vers la catastrophe. p. 225

Que dire de mieux que Michel Onfray dans sa préface Être à l’est :
La façon dialectique qu’à Gérard Conio de penser et de procéder, d’analyser et de démontrer, est une bénédiction pour ceux qui veulent en finir avec une avant-garde tellement statique qu’elle est devenue l’arrière-garde et de ceux qui se gobergent tellement de modernité qu’ils ne s’aperçoivent même plus qu’ils vivent dans un costume qui a un siècle et passent à côté du modernisme — quand ils n’empêchent pas qu’il advienne. Duchamp avait mis en garde contre les duchampiens. Il voulait qu’on soit à l’endroit de ce qu’il fit comme il fut avec ce que firent les autres avant lui. Gérard Conio est le penseur de cette révolution qu’on peut désormais envisager non pas au nom d’une réaction, d’une restauration, mais d’un soulèvement. p.9