Depuis plusieurs années, les services de renseignement européens et les rapports des institutions internationales tirent la sonnette d’alarme : une menace terroriste d’extrême droite s’affirme avec vigueur. Mais elle n’est pas isolée, elle est le pendant de la résurgence d’un ultra-islamisme chez certains jeunes musulmans radicalisés. Ces deux formes de violence idéologique, que tout oppose sur le fond, procèdent pourtant de dynamiques psychologiques et sociales parfois comparables. Etat des lieux de la menace suivi de quelques pistes pour la déminer.
Une montée observable et documentée de deux menaces
Selon le Conseil de l’Europe, la menace terroriste d’extrême droite est aujourd’hui considérée comme aussi préoccupante que celle du djihadisme. En France, en Allemagne ou encore en Belgique, les groupuscules identitaires multiplient les actions violentes. Les attentats de Christchurch, d’El Paso ou de Hanau renvoient, par leur structure narrative et leur volonté de faire école, à ceux perpétrés au nom du djihad.
Comme dans le cas de la radicalisation islamiste, les jeunes d’ultradroite se radicalisent en ligne, en réseau, à partir d’un même sentiment de dépossession et de conflit civilisationnel. Dans un cas comme dans l’autre, le récit de persécution domine : soit celle de l’Occident par l’islam, soit celle des musulmans par l’Occident et ses vassaux culturels.
Comparer les menaces du salafisme radical et du suprémacisme blanc n’est ni simple, ni sans risque idéologique. En France, les attaques djihadistes ont causé plus de victimes depuis vingt ans, avec une capacité logistique et militaire avérée. Le terrorisme islamiste demeure une menace létale de premier ordre.
Mais la menace identitaire blanche croît de manière continue. Portée par des réseaux numériques, moins centralisés mais très viraux, elle infiltre les récits culturels et les imaginaires de jeunes en déshérence. Si elle tue moins, elle fragilise autrement : par la banalisation de l’exclusion, la haine du pluralisme et la défiance envers les institutions démocratiques.
Ce ne sont donc pas les mêmes menaces. L’une tue massivement et brutalement. L’autre s’instille, se diffuse, ronge la démocratie de l’intérieur. Penser l’une sans l’autre est inefficace. Les ignorer simultanément serait irresponsable.
Pour autant, il faut rappeler que si l’esthétique spectaculaire séduit certains jeunes, la large majorité rejette explicitement la violence aveugle et l’idéologie excluante. Ouf !…

Les ressorts psychologiques de l’adhésion
Pourquoi des jeunes personnes, parfois sans passé militant, s’engouffrent-ils dans ces imaginaires ? L’angoisse identitaire, chez les jeunes d’ultradroite, rencontre un écho dans la quête d’identité culturelle et religieuse des jeunes musulmans. Dans les deux cas, une société perçue comme hostile, floue ou hypocrite nourrit le désir d’un cadre clair et clivant. Plusieurs facteurs se croisent :
Angoisse identitaire : Dans une société en mutation rapide, beaucoup de jeunes cherchent des repères. L’idéologie totalisante propose un cadre clair, binaire, rassurant : les « nôtres » contre les « autres ».
Crise existentielle : L’écoanxiété, la précarité sociale, l’impression de déclassement peuvent pousser certains à se tourner vers des boucs émissaires, selon un mécanisme bien connu de projection agressive.
Viralisme et médias sociaux : Les réseaux offrent une esthétique de la radicalité : montage stylisé, musique martiale, slogans-chocs. L’identitaire devient un lifestyle séduisant, alimentant une pulsion héroïque et guerrière. Le sentiment d’appartenir à une élite, « réveillée », face à une masse considérée comme naïve ou endormie, exerce une puissante fascination psycho-esthétique.
L’État, les médias, l’école, les universités sont vus comme des lieux de la « propagande gauchiste ou mondialiste ou judéo-croisé ». Le complotisme s’y engouffre, avec des figures complémentaires et partagées, notamment le financier juif et la féministe castratrice.
Les discours d’extrême droite dénoncent l’État comme complice d’un effacement civilisationnel. Les jeunes musulmans radicalisés, eux, y voient l’instrument d’un racisme structurel, d’un impérialisme laïc ou d’une violence policière constante. Dans les deux cas, les institutions sont perçues comme illégitimes, menteuses, voire ennemies.
La précarité sociale, le déclassement ou la perte de sens n’épargnent donc aucun camp. L’un compense par un repli ethniciste et nostalgique, l’autre par une sur-identification à une oumma idéalisée et vengeresse. Le mécanisme de projection agressive est identique : l’autre est l’ennemi, responsable de mes échecs, de mon sentiment d’inutilité, de mon effacement.

Esthétique de la radicalité et guerre des récits
Les réseaux sociaux relaient dans les deux cas une esthétique viriliste, héroïque, sacrificielle. Le montage stylisé des vidéos d’ultradroite répond à l’imagerie de propagande djihadiste. Même fascination pour la pureté, le courage, la minorité éclairée. L’un brandit la croix, l’autre le Coran. Tous deux invoquent une transcendance en guerre contre la décadence.
Les mouvements extrémistes réussissent à capter les jeunes en offrant une identité visuelle et narrative forte où prédominent des codes guerriers et martiaux. Le culte du corps, l’esthétique militaire, le sens du sacrifice et une certaine nostalgie romantique d’un passé mythifié sont autant d’éléments qui séduisent chez les jeunes suprémacistes blancs. De leur côté, certains jeunes radicalisés musulmans sont attirés par une iconographie martiale islamique valorisant la force du moudjahidine, la rigueur morale du combattant de Dieu, et l’ascèse sacrificielle en réponse à un monde profane perçu comme corrompu.
Dans les deux cas, la promesse implicite d’une vie intense, héroïque, contrastant fortement avec le quotidien terne, isolé et anxiogène, devient un puissant vecteur d’attraction. Cette esthétique du combat et du sacrifice nourrit un imaginaire de révolte existentielle et politique, à l’opposé d’une société perçue comme passive, conformiste, et dévirilisée ou corrompue.

Le renfermement sur soi : une réponse symétrique, totalisante et paranoïaque à l’oppression
Qu’ils soient issus de milieux musulmans ou non, de nombreux jeunes vivent la société française comme un espace verrouillé, hostile, ou vide de sens. Le refuge idéologique, islamiste ou identitaire, vient combler ce vide. Le monde réel est abandonné au profit d’un monde surinterprété, où tout devient signe, preuve, confirmation d’un complot. L’imaginaire de la guerre totale — contre l’Occident ou contre l’Islam — devient le moteur d’une existence retrouvée.
La théorie du « grand remplacement » comme du « complot occidental contre l’islam » offre un méta-récit où l’histoire, la politique, les faits divers et les mutations démographiques s’organisent selon une logique unique : celle d’une disparition programmée des Européens blancs. Comme l’ont montré les travaux d’Elio Panese et du CESSP (Centre européen de sociologie et de science politique), cette narration se nourrit d’un sentiment de dépossession culturelle et raciale, même si ce sentiment ne repose que sur des perceptions subjectives et non des données objectives. Une vision du monde paranoïaque et totalisante Deux récits miroirs, deux visions enfermantes, irréconciliables, mais qui se nourrissent mutuellement. Le succès de l’un justifie l’existence de l’autre. Le fondamentalisme chrétien ou païen de certains suprémacistes rencontre le fondamentalisme religieux islamiste dans une dramaturgie du choc, où le réel est sacrifié à la cohérence du mythe.
Laïcité rigide et invisibilisation du fait religieux : un terreau commun de frustration
En France, l’État, garant de la neutralité, s’efforce d’éviter que la sphère publique ne soit dominée par des dogmes, qu’ils soient religieux (ou idéologiques…). Pour autant, la conception dominante de la laïcité contribue à l’effacement du fait religieux dans l’espace public sous couvert de neutralité. Ce cadre, historiquement forgé contre les emprises catholiques, est aujourd’hui appliqué avec rigueur face à des expressions identitaires musulmanes — mais aussi en réponse à tout ce qui s’apparente à une revendication spirituelle ; c’est alors tout la question métaphysique et ses tentatives de réponses philosophiques ou religieuses qui en font les frais.
Le résultat est un sentiment diffus de mise à l’écart : d’un côté, chez des jeunes musulmans, une frustration face à l’invisibilisation de leur foi ; de l’autre, chez des jeunes d’extrême droite, une colère face à ce qu’ils perçoivent comme un nivellement universaliste qui nie leurs héritages culturels ou religieux. Ainsi se construit un terrain propice à la radicalisation : là où la pluralité spirituelle pourrait ouvrir au dialogue, c’est le silence forcé et la crispation identitaire qui se renforcent.
Le monopole symbolique des élites : entre mission civilisatrice et condescendance culturelle
Une partie de la jeunesse française — qu’elle soit issue des quartiers populaires, des campagnes conservatrices, de diasporas musulmanes — perçoit toujours chez certaines élites intellectuelles et culturelles de gauche (mais pas seulement) une forme de paternalisme masqué : une manière de dire « nous seuls savons ce qui est bon pour vous ». Cette posture éducative, héritée d’un long tropisme républicain centralisateur, peut virer à la confiscation de la parole : toute voix dissidente est disqualifiée comme « mal informée », « dangereuse », ou simplement… « bête ».
Or, l’aspiration à participer à la fabrication du sens commun traverse tous les milieux. Croire que seule une intelligentsia éclairée pourrait définir ce qu’il est juste de penser revient à rejouer la figure du missionnaire civilisateur, mais cette fois en version laïque, progressiste, et parisienne. C’est cette même verticalité qui alimente la défiance. Elle renforce chez les jeunes en déshérence intellectuelle ou politique le désir de se tourner vers des figures alternatives — y compris radicales — qui, elles, ont l’air de prendre leur colère au sérieux.
Reconnaître cela n’est pas nier les apports de la pensée critique issue de la gauche intellectuelle française. C’est au contraire l’inviter à se décentrer, à se pluraliser, à écouter autrement. À cesser de vouloir « éduquer les masses » et commencer à dialoguer avec elles. (Avant que les masses ne se détournent définitivement d’elles en se portant vers l’extrême-gauche ou l’extrême-droite.)
Au demeurant, près des deux tiers des Français se montrent aujourd’hui hostiles au « fonctionnement médiatico-intellectuel » tel qu’ils le perçoivent :
- 62 % estiment qu’« il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité » (baromètre La Croix – Verian – La Poste, janvier 2025)
- 55 % jugent que « la plupart des organes de presse sont plus soucieux de soutenir une idéologie ou une position politique que d’informer le public »
- 57 % pensent que « les journalistes les induisent en erreur en déclarant certaines choses qu’ils savent être fausses ou exagérées »
Ces chiffres témoignent d’une défiance générale non seulement envers la couverture médiatique, mais aussi envers les « intellectuels-penseurs » qui sont perçus par la majorité des Français comme déconnectés des réalités quotidiennes.
Que faire ?
Réhabiliter le pluralisme comme espace de pédagogie démocratique
Il n’y a pas de démocratie vivante sans goût du débat. Voici quelques pistes concrètes — culturelles, éducatives, institutionnelles — pour recréer un environnement propice à la conversation authentique, équitable, sans mépris larvé :
-> Dévaloriser l’entre-soi algorithmique, revaloriser le désaccord civilisé
Les réseaux sociaux créent des bulles cognitives qui favorisent l’entre-confortation. À l’inverse, la conversation suppose un déséquilibre initial, une friction qui pousse à ajuster sa pensée. Il faut encourager les formats qui valorisent le désaccord non conflictuel, en réapprenant à « perdre la face » sans perdre sa place. Exemple : créer ou renforcer des espaces de débat dès le collège où l’on doive défendre une position opposée à la sienne, en public.
-> Repolitiser la parole dans des cadres lents
Les formats médiatiques dominants (talk-shows, reels, clashs) imposent un rythme hostile à la pensée. Il faudrait des espaces de parole lente, où l’on a le droit de chercher ses mots, de se contredire, de suspendre son jugement. Cela peut passer par des ateliers de disputatio dans les collèges/lycées, ou par des podcasts scolaires entre élèves de sensibilités opposées, animés par des médiateurs adultes.
-> Mettre en scène des désaccords féconds
L’école devrait inviter dans une même salle, sur des sujets brûlants, deux penseurs antagonistes (ex. : un laïc strict et un croyant libéral, un décroissant et un technophile) capables de se respecter sans se renier. Ce sont des occasions de désapprentissage du réflexe de rejet. C’est en voyant des adultes s’écouter sans s’insulter qu’on apprend à converser. Le mimétisme est clé.
-> Réhabiliter la joute oratoire comme jeu structurant
Inspirée des rhétoriques antiques ou des ligues de débat anglo-saxonnes, la disputation comme jeu (avec règles, équipes, thèmes imposés) canalise l’énergie polémique des adolescents dans une forme d’expression où le style compte autant que l’argument. Cela donne du prestige à l’intelligence sans l’arracher à l’affect.
-> Créer un imaginaire positif du débat
Aujourd’hui, le débat est souvent vu comme une guerre ou un pugilat. Il faut recréer une esthétique de la conversation : des lieux beaux et inspirants, des captations soignées, des mots valorisants (« joute », « partage », « croisement », « contradiction féconde », etc.). Si la conversation devient cool, elle redevient désirable.
Réhabiliter le pluralisme comme espace de friction démocratique
Interdire Valeurs actuelles dans une bibliothèque est contre-productif et ne fait que renforcer, chez ses lecteurs, le sentiment d’un principe d’iniquité dans la culture institutionnelle jugé gauchisante. Neymar soutient Bolsonaro : faut-il interdire à un club français de l’embaucher ? Les footeux vont être verts !… Alain Delon et Brigitte Bardot étaient proches de Jean-Marie Le Pen : cela justifie-t-il de retirer leurs films dans les catalogues des médiathèques publics de gauche ? Véronique Genest soutient Zemmour : doit-elle être interdite d’écran ? Pour prendre des noms plus contemporains : des éditorialistes comme Eugénie Bastié, Mathieu Bock-Côté ou Paul Sugy, par exemple, méritent-ils d’être persona non grata dans les institutions ou médias culturels dirigés par des personnes réputées de gauche ?
Et du côté musulman ? Des penseurs comme Abdennour Bidar ou Rachid Benzine, bien que modérés, sont-ils invités à la hauteur de la pluralité qu’ils représentent ? Un rappeur qui cite le Coran dans un couplet ou un intellectuel musulman qui critique la laïcité à la française sont-ils encore intégrés dans l’espace symbolique commun sans suspicion automatique ?
Une jeune musulmane qui porte un voile est-elle automatiquement anti-chrétienne et anti-système ? Une jeune chrétienne qui porte une croix en pendentif est-elle automatiquement anti-musulmane et souhaite-t-elle brûler des mosquées ?
Bref, la montée du complotisme et du suprémacisme — qu’ils soient politique ou religieux — ne sera jamais résolue par l’invisibilisation de ces sensibilités ni des personnes qui s’y rattachent. Plus on essaie, plus ça déborde malgré le couvercle. C’est au contraire dans l’acceptation d’une expression médiatique large et non-excluante — où chacun peut dire ce que d’autres jugeront être des sornettes, voire des dangers — que des débats naîtront. Et les débats, c’est la rencontre avec la différence. Autrement dit, c’est le début d’une relation.
Les seules limites à cette liberté de parole sont la loi et la science. Et la loi, c’est le juge. Et la science, c’est la communauté scientifique. La loi et la science, ce n’est ni à un enseignant, ni à un élu, un journaliste, un bibliothécaire, un metteur en scène, un directeur de théâtre ou que sais-je encore de la fixer. C’est à la communauté scientifique de dessiner les limites, même parfois partielles, du vrai et du faux dans le domaine du savoir, de l’argument vérifiable et de l’intox. Et c’est au juge seul qu’il revient de définir ce qui sort du cadre légal.
Pour autant, il ne s’agit aucunement de négliger les responsabilités éducatives de certains corps sociaux : l’enseignant, le journaliste, le programmateur culturel ne sont pas des juges, mais ils ont une influence normative réelle. Et nier leur rôle symbolique reviendrait à vider la démocratie de ses formes intermédiaires. À chacun donc de faire usage de sa fonction dans le respect de ce triple principe : liberté d’expression d’un côté, responsabilité d’incarnation de l’autre et recherche honnête de la justesse critique. Ce à quoi je m’emploie dans cet article même.
Représentation symbolique : une urgence mimétique
Dans la continuité du précédent paragraphe et sa saine friction, un levier me semble-t-il crucial concerne la modification de la représentation dans les sphères d’influence culturelle, médiatique et institutionnelle. La société française gagnerait à intégrer, dans ses agences de communication, ses médias publics, ses campagnes de sensibilisation ou ses récits nationaux, des jeunes diplômés issus de l’immigration mais aussi de milieux français d’origine et conservateurs ou enracinés. C’est le meilleur moyen de prévenir leur possible départ vers des opérateurs radicaux, notamment des médias et des réseaux sociaux financés par des acteurs économiques extrémistes, et ainsi de contrer l’expansion de ces derniers.
De fait, il est fort rare de trouver ces profils dans les agences de publicité, les services de communication des grandes entreprises ou les directions éditoriales des médias audiovisuels publics et privés. Ce déficit de diversité restreint la palette des récits collectifs proposés à la jeunesse en enfermant les messages dans des imaginaires majoritaires souvent hors-sol ou condescendants. Ouvrir ces sphères à une pluralité réelle d’expériences, d’origines et de sensibilités serait un levier puissant pour redonner prise, reconnaissance et désir d’appartenance à une jeunesse aujourd’hui en pour une part importante désaffiliée.
Ces figures, visibles, affirmées dans leur parcours et leur ancrage, offriraient à la jeunesse des modèles alternatifs puissants. Pour des adolescents en perte de repères, happés par des récits extrêmes, la possibilité de s’identifier à des personnes proches de leur sensibilité, qui réussissent sans rompre avec leurs convictions, serait un levier mimétique de stabilisation. Cette pluralité visible, à la fois ethnique, sociale, religieuse et idéologique, incarne une société inclusive sans être normative — où la diversité ne s’efface pas sous la bannière d’un universalisme abstrait, mais s’y inscrit comme force d’élaboration collective.
Il s’agirait, par exemple, de rendre plus visibles dans l’espace médiatique des penseurs qui incarnent des voies non extrémistes mais ancrées, capables de structurer des imaginaires adolescents aujourd’hui captés par les plus radicaux. Leur présence régulière dans des débats publics, des émissions, ou des productions culturelles donnerait à voir des alternatives cohérentes à la radicalité, sans renier les racines ou les convictions des jeunes qui les écoutent.
Sur ce point, la France universaliste accuse, c’est certain, un sacré retard.
En résumé, plusieurs axes mériteraient d’être suivies :
-> Limiter drastiquement l’accès des mineurs aux réseaux sociaux, sources avérées d’anxiété, de radicalisation et d’enfermement idéologique. Avec une interdiction complète aux mineurs.
-> Réactiver un horizon d’avenir positif en proposant une vision-narration constructive et désirable du futur républicain et français. Cette tâche est d’autant plus ardue que nombre de médias participent à une surenchère anxiogène qui pousse de nombreux jeunes à s’en détourner.
-> Réaccueillir les expressions spirituelles ou religieuses, qu’elles soient laïques ou religieuses libérales, afin de répondre aux aspirations existentielles et métaphysiques trop longtemps négligées, voire rejetées. Cela nécessitera cependant de repenser les rigidités actuelles liées à une application trop souvent anti-spirituelle et matérialiste de la laïcité en France.
-> Valoriser des figures référentielles et des parcours porteurs d’espérance qui démontrant concrètement que l’engagement positif, voire héroïque, est non seulement possible mais gratifiant. Cela implique toutefois d’abandonner les représentations caricaturales et stéréotypées de la jeunesse, autrement dit : arrêter de prendre les jeunes pour des crétins.
-> Créer et mettre en avant des expériences collectives réussies, mais sans tomber dans le traitement mièvre, superficiel, caricatural et excluant habituellement réservé à ces initiatives – il faut en finir avec le parcours exemplaire du sportif noir/maghrébin devenu star du foot ; des robeus ou des renois qui ont des parcours pas blingbling mais silencieusement exemplaires, il y en a plein.
-> Pour ce faire, il serait illusoire de prétendre répondre à la crise actuelle sans interroger les rouages de la fabrique symbolique. Or, l’un des angles morts de cette réflexion réside dans la sous-représentation flagrante des jeunes diplômés issus autant de l’immigration que des sensibilités conservatrices dans les secteurs clés de la communication, des arts, des médias et de l’institutionnel.
-> Réformer en profondeur l’éducation aux médias et à l’esprit critique dès le collège en soutenant activement un véritable pluralisme des points de vue dans les productions pédagogiques et artistique et une diversité de magazines indépendants capables de refléter authentiquement les voix et identités plurielles de la jeunesse contemporaine, loin du pluralisme artificiel actuellement déployé par les grands groupes médiatiques sous le regard étrangement complaisant des ministères, notamment de la Culture.
Voulons-nous vraiment prévenir le glissement des ados vers le salafisme ou le suprématisme ? Alors peut-être pourrions-nous tenter de les laisser exprimer leurs questions, leurs peurs, leurs préjugés, leurs stéréorotypes ouvertement, en liberté, en classe, en public, sans les juger. Les constructions caduques matinées d’identité fantasmée, comme beaucoup d’autres billevesées, ont plus de chance de s’évaporer quand elles sont partagées au grand jour que quand leurs auteurs se renferment dans des espaces d’entreconfortation où l’entre-soi radicalisé fait fermenter une haine absolutiste à l’égard de ce qui lui est étranger.
