Créé par la performeuse Dominique Godderis et le musicien Aurélien Chouzenoux, tous deux Rennais, le collage radiophonique « Heureuse la nation qui n’a pas d’histoire » raconte la fresque américaine de la résistance contre la discrimination raciale, des années 1960 à nos jours. À partir d’une nouvelle de la cinéaste afro-américaine Kathleen Collins, le collage mêle archives, prises de son et compositions musicales originales. Produite par l’émission du Labo, atelier de création expérimental, le collage met en lumière les voix de ceux qui se sont battus pour leurs droits. Une remarquable histoire de la résistance contre la discrimination raciale à écouter et à entendre et voir le 16 février 2024 à 19h au Diapason (Université de Rennes Beaulieu).
Dominique Godderis est danseuse, performeuse et traductrice depuis plus de 20 ans. Aurélien Chouzenoux est musicien, compositeur et arrangeur pour le cinéma. Les deux artistes ont travaillé en duo sur le collage « Heureuse la nation qui n’a pas d’histoire », tiré de la nouvelle « Whatever happened to interracial love ». La nouvelle raconte le quotidien de deux colocataires new-yorkais de couleurs de peau différentes durant l’année 1963. Le collage emmène l’auditeur dans une exploration poétique guidée par les voix de Malika Khatir, Catherine Travelleti, Francesco Panese et Dominique Godderis.
Unidivers – Vous avez réalisé ce projet avec votre époux et musicien Aurélien Chouzenoux. Comment est née l’idée de faire ce collage radiophonique ?
Dominique Godderis – Je suis américaine et j’habite en France. Comme beaucoup d’Américains, j’étais horrifiée à l’annonce de l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis. Face à cela, j’ai eu le besoin de faire une proposition artistique contre cette Amérique que je ne reconnaissais pas. Ce qui se passait dans le monde a provoqué en moi une réaction. Juste après l’élection de Trump, j’ai découvert un recueil de nouvelles écrit par la cinéaste afro-américaine Kathleen Collins. C’est un livre de courtes histoires écrites comme des esquisses entre des personnages très cinématiques. La façon dont l’auteure parle des femmes et des hommes m’a semblé extrêmement moderne. Ces personnages vivent en 1963, une année où le combat pour les droits civiques aux États-Unis était à son comble. Cette rencontre mêlée à mon indignation m’ont inspirée l’idée de créer un collage pour rendre hommage à ces voix. Le projet resta en couveuse pendant deux ans, bien avant que les mouvements de protestation explosent aux États-Unis.
Unidivers – Comment avez-vous construit ce collage ?
Dominique Godderis –J’ai commencé par traduire l’histoire « Whatever happened to interracial love ». Pour mes amis européens, le mot « interracial » est étrange, mais c’est un terme encore courant aux États-Unis notamment lorsqu’on parle de mariages interraciaux. J’ai ensuite cherché des archives afin de trouver un arc-en-ciel de voix américaines, d’hommes et de femmes. J’ai imaginé ce collage comme un outil littéraire qui ferait des ponts entre la vie intime des personnages et le monde politique autour d’eux. Ce qui m’intéressait, c’était de mettre en place un ping-pong entre le narratif et l’abstrait. J’ai pensé aux œuvres de Basquiat, où il y a des images figuratives mais aussi beaucoup de déconstruction.
Unidivers – Dans ce collage, vous superposez les voix anglaises avec une traduction française simultanée. Pourquoi avoir fait ce choix narratif ?
J’ai écrit l’épisode comme un monologue dit par plusieurs personnes. Ce n’est pas un dialogue, mais plutôt une longue phrase qui se suit entre différentes voix qui alternent simultanément l’anglais et le français. Nous voulions dépasser idéalement les limitations entre les langues en les joignant ensemble afin que les auditeurs oublient presque les changements de la langue. De la même manière que les personnes bilingues mélangent plusieurs langues dans leur vocabulaire. Je trouve cela très beau.
Unidivers – Pourquoi avoir choisi le format radiophonique ?
Dominique Godderis – Aurélien et moi venons tous les deux du spectacle vivant, alors nous avons toujours eu en tête de faire une production qui se rapprochait d’une représentation live. Nous écoutons tous les deux la radio depuis que nous sommes jeunes. Je voulais tester une forme qui permettait de s’approprier complètement l’histoire. Le format radio est très intéressant, car il permet de jouer avec le sens des choses et de la culture que portent les voix. C’est une manière de partager l’histoire, les réflexions sociologiques autrement. Il y a aussi la contrainte du temps et de la traduction qui ne peut pas se faire par des sous-titres. Il était important de se concentrer sur l’écriture pour être sûr que le format marche et qu’il parle au public. Il fallait que ce ne soit pas trop abstrait ou que ça n’aille pas trop vite pour l’auditeur. Nous avons reçu la bourse Brouillon d’un rêve Sonore de la SCAM pour notre projet et cela nous a beaucoup encouragé de voir que notre écriture parlait à des personnes qui avaient de l’expérience dans le documentaire comme dans la radio.
Unidivers – Comment avez-vous travaillé la création sonore ?
Aurélien Chouzenoux – Dans ce collage, la musique était la colle qui donnait l’ossature à la structure et au rythme. Le fil conducteur du collage était les années 60 à nos jours, alors j’ai eu envie de lier la culture électro européenne à la culture musicale américaine. Comme j’avais auparavant composé pour la radio, je voulais faire un clin d’oeil à la musique européenne électro-acoustique des années 60 qui est née dans les studios de radio notamment avec Pierre Henry pour France Inter. J’ai créé plusieurs panoplies musicales en mettant des sons accélérés et décélérés sur des bandes que j’ai mixés avec des sampling de soul music, de rap, de pop ainsi que de musique techno des années 2000. La création radiophonique était très en vogue dans les années 60 et 70. Avec le temps ça s’est perdu, mais il y a eu un fort regain ces derniers mois avec l’arrivée de la crise sanitaire. Les publics commencent à revenir vers la radio et je trouve cela très bien. J’ai toujours cru en ce média.
Unidivers – Avec le succès de l’épisode, envisagez-vous une suite à ce premier collage ?
Dominique Godderis – Nous commençons déjà à penser à la suite. Il y a encore beaucoup à creuser dans cette matière-là. Nous sommes en discussion avec plusieurs lieux culturels en France ainsi qu’en Suisse pour co-produire une version live de ce travail radiophonique une fois que les salles pourront ouvrir. Nous allons retravailler la matière pour l’adapter à un contexte. Le projet est loin d’être arrivé à son terme.
Aurélien Chouzenoux – L’idée serait de créer un espace de théâtre sonore avec une installation audiovisuelle. Nous voulons faire voyager le son autour du public grâce à un orchestre de haut-parleurs. Ce sera une écoute en groupe d’une histoire collective. Nous aimerions travailler avec la praticienne visuelle Pauline Perret ainsi que le collectif rennais Vitrine en cours.
Heureuse la nation qui n’a pas d’histoire, une réalisation de Dominique Godderis et Aurélien Chouzenoux, avec les voix de Malika Khatir, Catherine Travelletti, Francesco Panese et Dominique Godderis.
Musique et arrangements : Godderis-Chouzenoux.
Prises de son additionnelles : Gerald Wang.
Une production du LABO, de la RTS Radio Télévision Suisse, avec le soutien de l’Institut Français, de la Région Bretagne et de la bourse « Brouillon d’un rêve – sonore » de la SCAM.
À propos des réalisateurs
Dominique Godderis est une artiste de scène, chanteuse et traductrice. Son approche de la composition et du langage poétique est motivée par ses expériences tant littéraires que chorégraphiques, après presque deux décennies de créations et collaborations artistiques à travers le monde.
Aurélien Chouzenoux est un compositeur multi-instrumentiste, sound designer et technicien son. Ensemble ils créent et présentent des pièces audiovisuelles, musicales, et radiophoniques.