L’homme et l’animal, question éthique (3/3)

L’homme et l’animal, c’est le titre – et plus qu’un titre – le sujet passionnant du cycle ouvert en janvier aux Champs libres de Rennes. Conférences, projections, débats, ateliers, de nombreux rendez-vous pour questionner les relations et les responsabilités. L’occasion, à travers une série d’articles, de poser les jalons de ce débat qui, bien qu’ancien, ne fait que commencer…

(3e des 3 parties consacrées au cycle des Champs libres L’homme et l’animal, question éthique avec Élisabeth de Fontenay et Georges Chapouthier.)

Des droits pour les animaux ?

Photo  : L214
Photo : L214

À partir du moment où cette prise de conscience sera partagée à grande échelle, la réponse par le droit apparaîtra envisageable pour fixer ces principes éthiques. S’il est admis dans le Code pénal et dans le code rural que les animaux « sont des êtres vivants doués de sensibilité », et que les sévices, volontaires ou non à l’encontre sont condamnés , ces droits devraient être approfondis. L’alignement récent du code civil peut être vu comme un événement important. Ce n’est pas une réforme cosmétique selon Élisabeth de Fontenay : elle est beaucoup plus profonde puisqu’il s’agit de la constitution des Français.

Dans toute la tradition philosophique et politique, on a toujours refusé de leur donner des droits, car il ne pouvait pas y avoir de réciprocité : on a toujours pensé que les animaux ne pouvaient pas contracter : on ne pouvait pas leur donner de droits puisqu’ils n’étaient pas capables de devoirs. En outre, il y a une opposition fondamentale entre les biens et les personnes dans le code civil. Moi, je ne demande pas que l’animal soit considéré comme une personne, mais je veux une personnification de l’animal dans le Code civil.

l'homme et l'animal champs libresC’est sans doute du côté des animaux d’élevage qu’il faudra le plus tendre vers une amélioration des droits. Cependant, le chemin est long avant qu’on ne légifère sur les animaux sauvages. « Il ne peut y avoir de législation que sur les animaux qui sont appropriés, qui ont un propriétaire […] c’est un vrai problème que le champ d’application des lois ne s’étende pas à l’ensemble du règne animal. Voilà la vraie question du droit aujourd’hui ». A l’heure actuelle, si l’animal domestique est considéré comme sensible par le Code civil, il demeure ainsi un bien corporel. Par ailleurs, attention, nous dit Élisabeth de Fontenay, à ne pas vouloir donner les mêmes droits à tous les animaux. Les découvertes de l’éthologie devront aussi être prises en compte. « Il faudra un jour évidemment légiférer espèce par espèce. L’éthologie ne sera jamais le fondement du droit des animaux, car le droit ne dérive pas de la science, mais d’une initiative humaine, d’une prise de conscience éthique humaine.Toutefois il faudra tenir compte de ses découvertes pour légiférer. Parce que le droit de la poule et de la vache ne peuvent pas être les mêmes. » De fait, élargir les droits de l’Homme aux chimpanzés, comme le prônent certains disciples de Peter Singer, relève pour elle d’une aberration. Enfin, un jour – qui sait – se posera à tous la question de la reconnaissance du droit à la vie de chaque individu, qu’il soit humain ou animal, mammifère ou poisson, ceci impliquant dès lors de devenir végétariens.

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John Stuart Mill

Une « utopie active » soutenue par Élisabeth de Fontenay, et qui pour l’instant est encore bien trop souvent perçue comme ridicule. Cependant, John Stuart Mill disait : « tout grand mouvement, toute grande cause, a trois moments : le premier moment c’est le ridicule, le second moment, c’est le débat, le troisième, c’est l’adoption ». Reste à savoir si Élisabeth de Fontenay délaissera un jour son alimentation carnée… un des « grands paradoxes de son existence » qui ne manque pas d’en déstabiliser plus d’un. Là où l’on voit qu’une idée juste peut malheureusement se limiter au cercle de la parole ! Son intérêt pour les avancées de la viande in vitro peuvent en outre laisser perplexes, au regard de son effroi quant aux clonages des brebis Polly et Dolly.

L’éthique à l’épreuve du pragmatisme

cochons animaux droits
Photo : L214

Vient pour finir la notion de pragmatisme. Car : « en éthique, rien n’est tout noir, tout blanc », tient à rappeler Georges Chapouthier. De fait, le chercheur est confronté à ce grand paradoxe : effectuer des expériences sur des souris en laboratoire tout en étant profondément sensible à la cause animale. C’est pourquoi il tente d’appliquer sa fameuse règle des 3 « R » : « Réduire » au maximum le nombre de recours à l’expérimentation animale, « Raffiner » les protocoles expérimentaux, et si possible « Remplacer » ce recours par d’autres méthodes d’analyse fournies par la technologie : par exemple exploiter les cultures cellulaires, les modèles informatiques, ou échanger les données d’un bout à l’autre du monde pour ne pas avoir à passer une nouvelle fois par la manipulation des animaux.en finissant par tomber sur les mêmes résultats. Améliorer le traitement des animaux de laboratoire est pour lui une idée essentielle, à laquelle il faut sensibiliser les chercheurs. Cependant, il expose sa théorie des cercles concentriques : oui, on a tendance à favoriser sa propre espèce, et il est légitime d’établir cet ordre de priorités. Aussi, les progrès de la médecine au profit de l’homme, s’ils nécessitent l’expérimentation animale, ne peuvent être écartés .

En outre, que faire des animaux conditionnés par les hommes ? Doit-on les rendre à la nature ? « Il y a un tas de textes anglo-américains qui disent que les poules elles-mêmes sont capables de revenir à l’état sauvage, réagit Élisabeth de Fontenay. Enfin là, on sombre dans le ridicule. Avec le cochon en revanche ce n’est pas un problème, le cochon peut revenir à l’état sauvage, une vache en revanche dans la nature, je ne sais pas ».

veaux en cage animal éthique
Photo : L214

Dernière remarque, celle émise très justement par un auditeur dans la salle : « Je voudrais évoquer une question un peu bête, très très simpliste, à laquelle tout le monde pourra réfléchir tranquillement une fois revenu chez lui : j’ai entendu dire qu’en Inde il y a des temples où les rats sont sacrés, on vient leur faire des offrandes, donc il y a un lieu pour ça. C’est leur philosophie, elle est respectable. Maintenant, au niveau planétaire : on fait comme dans les temples en Inde, on ne dératise plus, que se passe-t-il au bout d’un an, au bout de dix ans, au bout de cent ans? C’est vraiment très bête, mais c’est tout ce que je voulais dire. » Une remarque pertinente à laquelle Élisabeth de Fontenay n’apporte pas de solution. Car, si d’après elle la mystique de l’animal est une folie, la question des nuisibles reste en suspens…

Élisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité, Fayard, Paris, 1998.

Georges Chapouthier, Françoise Tristani-Potteaux,  Le chercheur et la souris, CNRS éditions.

 Fondation Droit Animal, Ethique et Science,

Code pénal au sujet des animaux

Manifeste des 24 intellectuels

Droits des animaux

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