Jean Sauveur a 75 ans. Heureux paroissien dans un village touristique, il souffre de la distance de Christian, son fils unique, qui a violemment rejeté la religion pour devenir psychanalyste à Paris où il élève sa fille sans références chrétiennes. Marie Sauveur a 18 ans. En attendant les résultats du bac, elle vient passer quelques jours chez son grand-père. Mais Jean vieillit, son chagrin l’étouffe, il n’a plus la force de faire bonne figure devant sa petite-fille devenue grande… L’histoire intime des Sauveur entraîne le lecteur au coeur d’une paroisse vivante, avec son groupe de prière et ses laïcs engagés, et lui dévoile des personnages qui, croyants ou non, luttent pied à pied pour vivre à la hauteur de leurs convictions : Brigitte, qui s’est juré de convertir son mari agnostique ; Christian, qui se bat contre toutes les formes de croyances ; Geneviève, qui tente de résister aux avances d’Olivier ; Philippe, qui se pose des questions sur la mortification ; Marie-Ange, qui croit en Jésus mais ne sent pas sa présence… Danse avec Jésus cherche une troisième voie – en forme d’école buissonnière – entre les sentiments viscéraux d’allégeance et de refus qu’inspire le monde religieux. Les positions les plus radicales y sont montrées de l’intérieur, les stéréotypes tour à tour flattés et disqualifiés, et le lecteur emmené en voyage dans le fond des consciences, promené entre Paris et la campagne en été, invité à rire – et à trembler – devant Dieu et son absence, l’envie et la terreur d’exister.
Mes nouvelles fonctions au sein d’Unidivers m’ont conduit à sortir des sentiers battus et à lire un roman qui traite de la chrétienté et de sa place dans la société moderne. Son style est agréable, vivant et clair. Le lecteur est donc bien disposé pour que le livre ne lui tombe pas des mains. Si l’entrée en matière du roman prend un peu de temps, on pénètre heureusement assez vite dedans. Dès lors, on ne le lâche plus, et on en accompagne le parcours. Sa forme un tantinet pamphlétaire aide beaucoup à la forte adhésivité qu’il génère.
Quant au fond du livre, il s’attache à montrer comment une famille, à travers les générations, vit sa foi religieuse ; le panel de sentiments traités est large : doute, certitude, renoncement, égarement, etc. Les personnages sont intelligemment structurés les uns vis-à-vis de leur foi. Les passerelles entre le monde réel et le monde spirituel sont bien dosées – ce qui concourt à intéresser un lectorat diversifié. Le petit fond analytique freudien du roman fait fonction de supplément d’âme, une saveur supplémentaire pour l’ouvrage.
Sans tuer le suspense et dévoiler la fin, il faut noter combien cette dernière est inattendue. Mieux, elle est interrogative, comme une façon de poursuivre son propre questionnement à l’égard de ses croyances.
Un roman spirituel au sujet religieux. Intéressant, contemporain et vivant.
À lire, pour sa qualité littéraire autant que pour un sujet traité d’une manière palpitante.
David Norgeot
Danse avec Jésus, Editions lunatique, 24 €, 364 pages
Après l’Agnus Dei, le Père Noël cassa un morceau d’hostie dans le calice, le couvrit, murmura une prière à voix basse et présenta le ciboire à l’assemblée.
« Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau. »
Et tout le monde répondit :
« Seigneur, je ne suis pas digne de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »
Cinquante ans plus tôt, quand Gérard Labbé allait à la messe, quelque chose en lui se suspendait durant le silence qui suivait « mais dis seulement une parole et je serai guéri ». C’était comme si l’espoir contenu dans cette phrase annonçait la présence tangible du Christ dans l’église, comme si Gérard pouvait soudain s’attendre à ce que Jésus se penchât physiquement à son oreille pour lui dire une parole.
Quelques secondes plus tard, alors que retentissait le premier accord du chant de communion et que cette légère tension retombait, il ressentait du soulagement ; ce n’était pas le fait que Jésus fût resté silencieux qui le rassurait – au contraire -, c’était de voir son attention distraite avant que le constat de ce silence n’ait eu le temps de se former dans son esprit. On demandait à Jésus seulement une parole, la formulation portait à croire que ce n’était pas trop exiger, et cependant, cette parole ne venait jamais. Que Jésus ne se manifestât pas à chaque fois, qu’il ne suffît pas de le siffler, c’était la moindre des choses ; mais pourquoi ne répondait-il jamais ? Pourquoi ne prononçait-il jamais cette petite parole après laquelle on serait digne de le recevoir ? La question ayant fini par affleurer à la conscience du jeune Gérard, il avait bien essayé d’y trouver une réponse, mais s’était heurté à l’impossibilité de trancher définitivement entre différentes hypothèses :
1. Jésus ne voyait pas en quoi on n’était pas digne de le recevoir, il trouvait qu’on en était tout à fait digne et que son intervention était inutile.
2. Jésus estimait qu’en effet on n’était pas digne de le recevoir, mais qu’une parole de lui ne réglerait pas le problème.
3. Jésus était d’accord sur le fait qu’on n’était pas digne de le recevoir et aussi sur le fait qu’une parole de lui pouvait régler le problème mais, pour une raison mystérieuse, il ne souhaitait pas le régler.
4. Jésus était d’accord pour régler le problème et disait une parole pour qu’on fût guéri. Pour une raison mystérieuse, on n’entendait pas cette parole, mais elle était prononcée, et on devenait digne de le recevoir.
5. Jésus n’entendait pas ce qu’on lui demandait parce qu’il n’existait pas.
6. Jésus n’entendait pas ce qu’on lui demandait, pour une raison mystérieuse, mais il existait.