La mort dans Marcelle, ma mère, de Léonel Houssam, Obscénité d’Andy Vérol

Léonel Houssam (nouvel avatar d’Andy Vérol) commet sa première autopublication (aux éditions Fictives Burn-out). La mort dans Marcelle, ma mère, est un microroman inédit suivi d’une nouvelle, Dracula, fille de joie (initialement publiée dans la revue Short Stories, aux éditions La matière noire). Si le volume semble mince, les probabilités sont fortes qu’un certain nombre de personnes non averties éprouvent un dégoût irrémédiable pour ces deux textes. Personnes non averties ou, peut-être, non éclairées. Voilà un énième provocateur trash, entendra-t-on dire. Ce Léonel Houssam est ignoble. Comment peut-on écrire des choses pareilles ?

L’étouffement, le souvenir de l’air. Le vent. Sur les souvenirs. Les plaines. La place. Le pan entier de mon passé se chie sur la minute/l’instant. Correctement. (La mort dans Marcelle, ma mère) 

La littérature n’est pas un jeu d’enfants. Toute sortie hors de soi d’une pensée qui se manifeste par un texte traduit un écart et un rappel. L’écart entre la plénitude perdue (qu’on l’appelle comme on veut) et la viande, le corps, le monde sublunaire saisi par l’entropie, dès la naissance, peut être refermé par la mort ; en attendant, la littérature occupe cet espace intermédiaire. Le langage humain, qui est la conscience d’avoir conscience, la conscience de la finitude physique, l’expression d’espoirs universels, est un dispositif d’une puissance terrible. Son usage suppose une responsabilité, une intelligence et un courage peu communs.

 leonel houssamLéonel Houssam assume cette responsabilité, possède ces qualités. D’autant plus qu’il dépeint un monde, le nôtre, dans lequel la puissance en quelque sorte thaumaturgique du langage se voit détournée et avilie par de soi-disant élites politiques, médiatiques et littéraires. Quant à eux, ces deux textes de Houssam dépeignent deux marginaux aux comportements extrêmes. La mort dans Marcelle, ma mère, voit le narrateur s’embarquer dans une régression œdipienne absolue. Dracula, fille de joie explore l’univers d’une bande de skinheads, dans un pays en déshérence totale ; ici, le personnage principal est une victime qui devient chasseur.

Les yeux rougissent, les mains tremblent et la cellophane craque. Les muscles se mettent en branle, le ciel noir me crie « L’AMI ! », je lui souris, je sors les crocs, ça craque, ça pète ! Je reviens d’entre les tombes, la bave aux lèvres, l’estomac creux criant famine, je viens, je sors, je jaillis mes amis, je déverse des cris, je me libère et bondis ! Pas un ne bouge. Une béquille translucide s’affaisse sous le poids de mon assaut. Je voulais leur amour, j’ai eu leurs molécules. (Dracula, fille de joie).

andy verolIl se trouve cette note de lecture est rédigée le jour de parution de Merci pour ce moment, le livre de Valérie Trierweiler consacré à sa relation avec François Hollande. Significatif. Les trois cent vingt pages écrites par l’ex-Première dame de l’Élysée sont un exemple de cette magie noire infralinguistique consistant à faire de la sanie avec de l’or, à rebours de toute dignité, à rebours de toute la puissance élévatrice du langage. En revanche, l’écriture de Léonel Houssam (connu jusqu’à l’an dernier sous le nom d’Andy Vérol), malgré l’obscénité, l’abjection apparentes des épisodes qu’elle manifeste, est un décodage (un désenfumage) qui surviendrait de façon salutaire, par son obscénité et son abjection mêmes, face au spectacle affligeant de personnes présentées comme la fine fleur du patriotisme, de l’intégrité, de la lutte pour la protection des plus pauvres. Léonel Houssam recharge le réel en cernant de près les écorces (peut-être au sens judaïque de klippoth) de ce monde : il n’y a plus rien d’autre, après la duperie perpétrée par les modernes élites incultes, qu’une terre gaste. Une jungle où tous veulent retrouver du sens alors que tout est déjà mort, alors que tout sens s’est déjà retiré, comme si l’unique cadeau de la manne langagière avait fini par pourrir et corrompre toutes choses.

Léonel Houssam, alias Andy Vérol (jusqu’en 2013), est né en 1973. Il a créé des fanzines expérimentaux, été rédacteur de webzines et de revues papier. Il est l’auteur d’une biographie de Noir Désir / Bertrand Cantat, et de Manu Chao. Il a également fait paraître un roman (type road-récit), Les derniers cow-boys français. Il a animé des discussions littéraires et artistiques avec Eric Naulleau, Vincent Ravalec, Franca Maï, etc. Récemment, les éditions La matière noire ont publié de lui Les sur-intégrales, Seconde chance et Le manifeste de l’acharniste.

L’écriture de Houssam, serrée, aux impacts violents, est volontairement l’écriture des restes. Sans échappatoire : le personnage principal de La mort dans Marcelle, ma mère, tente une manœuvre finale désespérée. Celui de Dracula, fille de joie, cherche aussi la reconquête (impossible) d’une organicité primale ; comme si, par le corps, on pouvait repartir à zéro. Mais non. Ici, il n’y a pas d’utopie, pas de promesses électorales, aucune prostitution systémique, quoi qu’on en dise. Ne subsiste que l’antagonisme de l’animal humain contre lui-même, en famille, en meutes, et qui, au bout du compte, aura échoué dans son projet de civilisation. Dans cet échec, Léonel Houssam ne montre pas la lumière mais une formidable sincérité. Loin de la Bisounours’attitude et les promesses de « croissance » des « communicants » décérébrés.

  

Léonel Houssam, Andy Vérol, La mort dans Marcelle, ma mère (avec Dracula, fille de joie), 31 pages pour l’édition imprimée, 157 KB pour l’édition numérique ; prix : 1,61€.

Léonel Houssam, Andy Vérol, La mort dans Marcelle, ma mère, 14 pages pour l’édition imprimée, 487 KB pour l’édition numérique ; prix : 1,53 €.

Une édition de La mort dans Marcelle, ma mère, proposée sans Dracula, fille de joie. Dans un cas comme dans l’autre, les photographies de couverture et les illustrations sont de la talentueuse Yentel Sanstitre.

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