Avec Le Chant de l’assassin, R.J Ellory démontre qu’il est bien l’un des plus grands auteurs de romans noirs. Intrigue parfaite mais surtout personnages inoubliables dans une Amérique sombre et profonde. Du grand, très grand roman.
Quand vous avez la chance de rencontrer R.J Ellory, cet auteur anglais, mondialement connu, mais écrivant sur les États-Unis, ses premières paroles sont, comme la plupart du temps, consacrées à son enfance. Un petit sourire nostalgique au coin des lèvres, il explique l’absence totale de père, la mort de sa mère alors qu’il n’a que 7 ans, l’éducation de sa grand mère, les bêtises, la grande maison où il se retrouve seul à 16 ans, un court séjour en prison. Des événements qu’il a du raconter des centaines de fois, mais que l’on ne peut s’empêcher de rattacher à son oeuvre. Avec son dernier ouvrage traduit en français, Le chant de l’assassin, l’auteur de l’exceptionnel Seul le silence, laboure son passé pour récolter un roman puissant directement rattaché aux sortilèges de son enfance.
Henry Quinn a fréquenté pendant 3 ans en prison Evan Riggs. Ce dernier charge Henry, qui vient d’être libéré, de porter une lettre à sa fille Sarah, qu’il n’a jamais connue. Respectueux de sa promesse, le jeune homme emprisonné pour une bêtise, va partir à la recherche de cette mystérieuse enfant à Calvary, Texas. Sa venue va libérer des secrets enfouis, faire surgir des cadavres et éclairer d’un jour nouveau le passé familial de Evan Riggs. Fidèle à sa technique de flash back, l’écrivain de Birmingham, alterne chapitre par chapitre, entre la quête de Henry et le passé de Evan. C’est un puzzle qui se reconstitue peu à peu entraînant le lecteur dans une spirale infernale où le poids des violences du passé explique tout. Ou presque tout.
Ellory qui vit en Angleterre, mais qui a depuis son enfance rêvé de « l’Amérique » à travers des films, de la musique, des romans de Faulkner à Hemingway, nous emmène dans un Texas plus vrai que nature. Les communautés conservatrices vivent repliées sur elles-mêmes préférant l’ordre à la vérité, l’oubli à la justice. Et quand survient un étranger, chargé simplement de porter une modeste lettre à une inconnue, près de trente années de silence risquent de se fissurer. Tout est bon alors pour tenter de figer le temps.
Il y avait des milliers de façons de mourir; la solitude étant sans doute la pire.
L’écrivain maîtrise à la perfection l’art du suspense et on est happé vers les dernières pages du roman qui ne quitte pas les mains du lecteur. Mais on ne saurait résumer ce livre à une enquête, car Ellory donne une dimension psychologique imposante à ces personnages et à travers leur quête décrit des êtres inoubliables. « Certains – quelques rares êtres exceptionnels – vous marquent à jamais de leur empreinte » écrit il.
C’est le cas de deux frères, Evan et Carson diamétralement opposés, un paumé et artiste, l’autre froid et cynique. D’une femme Rebecca tiraillée entre l’amour partagé des deux frères. Des acteurs, potentats locaux tenus au silence par leur passé malodorant. Henry dans sa volonté de tenir sa promesse, bientôt accompagné de Evie, une jeune fille délurée forment au fil des pages un couple attachant contrastant avec la noirceur des habitants du lieu. Les « héros » positifs de Ellory, même imparfaits, sont dotés d’une humanité inoubliable.
À travers, ces êtres si proches du commun des mortels, l’écrivain donne une dimension shakespearienne à son roman mettant à jour des questions essentielles comme la prise de décisions dans l’immédiateté, décisions qui se révéleront décisives pour orienter une vie, car au moment où elles furent prises, elles semblaient les bonnes. Il décrit avec minutie la force des relations familiales, les liens d’un couple merveilleux de tendresse aux prises avec la difficulté d’éduquer deux garçons si différents. Il met en lumière des sentiments qu’il n’a pas connus à titre personnel, comme pour tenter de vivre par la fiction, ce qui lui a échappé. Livre après livre, Ellory, plus que des intrigues, nous donne une image de la condition humaine, pointant nos faiblesses que certains cherchent à oublier dans l’alcool ou la musique, cette musique omniprésente et que l’on imagine mélancolique, nostalgique et triste. Comme nos vies.
C’est le passé qui détermine tout. C’est de là que nous venons tous, qu’il soit bon ou mauvais.
Une phrase que Ellory doit méditer en écrivant chacun de ses romans. Une phrase indiscutablement liée à son histoire personnelle. On y revient.
Le Chant de l’assassin de RJ Ellory. Éditions Sonatine. Parution 23 mai 2019. 492 pages. 22€.
Claude DEMANUELLI (Traducteur), Jean DEMANUELLI (Traducteur)