Paris, XVIIIe arrondissement, rue Germain-Pilon, à quelques pas seulement de Pigalle. De 1929 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Marc Trévidic, pour son deuxième roman, nous propose de nous installer le temps de quelques années dans cette petite rue dans une ambiance singulière et de loger, si on le souhaite, dans Le magasin jaune, avec pour hôtes des personnes ô combien hautes en couleur…
Germaine alias Quinze, la gamine mascotte du quartier, son père Gustave qui ne manque ni de reflets ni d’aspérités et Valentine, sa mère, qui met tout en œuvre pour apporter douceur et calme quand grondent les tempêtes. Il ne faudrait pas oublier non plus la grand-mère de quinze, Renée Plouhinec, la Bretonne, qui manquerait cruellement si elle ne planait pas sur cette famille, présente ou partie pour d’autres ailleurs. Magie de l’onirisme. Magie de l’écriture. Magie des sentiments de Quinze.
Mais a-t-on réellement envie de se replonger dans ces années noires ? Dans ces années troubles ? Dans ces années qui voient la crise économique de 1929 étouffer le peuple, les travailleurs, les entreprises, le commerce, la montée du nazisme, un antisémitisme latent qui s’amplifie et laisse éclater les haines, les jalousies, les aspects les plus sombres de certaines, la guerre qui avale la France et l’Allemagne et puis l’occupation de Paris, le Vel d’Hiv… les rails du pire qui luisent en fond de décor.
Encore un roman, encore un livre sur ce sujet inépuisable, déploreront d’aucuns. Il n’empêche… Marc Trévidic a choisi – même s’il n’est pas le premier -, un angle tout à fait pertinent. Ces années vues, péniblement subies par une poignée d’adultes qui servent l’ensemble par leur caractère, leur épaisseur et quelques gamins du quartier tous aussi attachants les uns que les autres. Et puis ce récit ne serait rien sans deux héros : la rue Germain-Pilon et Le magasin jaune, endroit réservé aux rêves, à tous les fantasmes de gosses comme d’adultes qui n’ont pas perdu leur âme d’enfant, une boutique à la devanture lumineuse qui propose des jouets en tout genre. Un espace hors le temps, hors le pire.
Au-dehors, le monde s’obscurcit. Quand les Allemands occupent la capitale, tout bascule. Il y a ceux qui vont tenter de résister avec leurs petits moyens ; il y a ceux qui vont se ranger du côté de l’ennemi et puis celles et ceux qui resteront passifs par peur de tout perdre, les leurs, la vie… Qu’aurions-nous fait ? Difficile et si facile à dire haut et fort soixante-quinze ans plus tard… Mais là n’est pas nécessairement le propos. Avec une facilité déconcertante parfois, on s’inscrit rapidement dans le quotidien de la rue Germain-Pilon, dans le quotidien que vivent Quinze et les siens. Et on se surprend souvent à aimer ces gosses qui se montrent si réactifs, si ingénieux face à l’ennemi envahisseur, sans nécessairement condamner chacune ou chacun, seulement animés par l’idée de s’en sortir, de continuer à vivre malgré les sales coups du sort, malgré les injustices, malgré la chasse aux Juifs qui leur enlève leurs voisins, leurs amis. Et puis dans les visages de ces enfants de la guerre, on devine déjà les belles âmes et les retors, les salauds… parce que les enfants reproduisent parfois les pensées, les gestes des adultes.
Alors, Le magasin jaune, dépositaire de l’innocence et des rêves de l’enfance, sera-t-il un rempart efficace contre la folie meurtrière des hommes ? Au cœur du pire, Marc Trévidic réussit avec brio à installer aussi une poésie improbable grâce aux belles âmes de certains des gosses, de certains des adultes… Quant à l’épilogue, il faut se cramponner à la couverture – remarquable d’ailleurs -, pour ne pas s’effondrer, au-delà même du piège des bons sentiments. C’est fort et réussi ! À quand l’adaptation cinématographique ?