Il est des premiers romans qui frappent comme un orage d’été sur un champ desséché. Les Saules de Mathilde Beaussault, publié en janvier 2025 aux Éditions du Seuil, appartient à cette trempe rare. Roman noir rural, polar social, drame intimiste et chronique bretonne en un seul souffle, il s’impose d’emblée par son intensité narrative, la densité de son atmosphère et une maîtrise surprenante pour une jeune voix nouvelle de la littérature française.
Une recommandation de l’émission Faites-moi lire – une coproduction Champs libres – TVR – Unidivers.fr, présentée et rédigée par Nicolas Roberti en collaboration avec les bibliothécaires de la bibliothèque des Champs Libres où vous pouvez consulter cet ouvrage.
Un crime, des silences, une terre
Tout commence dans un hameau reculé du Centre Bretagne entre bocages et saules pleureurs. Une jeune fille de 17 ans, Marie, est retrouvée étranglée au bord d’une rivière. Elle était belle, trop libre, et dans ce village figé dans ses routines et ses rancunes, cela dérangeait. Tout le monde la connaissait, tout le monde parle d’elle, mais personne ne dit vraiment ce qu’il sait. L’enquête s’annonce vite paralysée par les non-dits, les regards fuyants, les barrières invisibles entre les habitants des “hauts” et des “bas”, les paysans et les notables, les anciens et les jeunes.
Et pourtant, quelqu’un a vu. C’est Marguerite, fillette mutique, négligée par ses parents éleveurs de porcs, harcelée à l’école, ignorée par tous. Elle, la sauvageonne aux habits trop petits et à la tignasse jamais coiffée, est sans doute la seule à pouvoir révéler la vérité. Mais comment parler quand on ne vous a jamais appris à le faire ? Quand la parole, chez soi, se limite à l’aboiement des corvées et au grésillement du poste de télévision ?

Plus qu’un polar, une plongée dans la psyché d’un territoire
Si le meurtre de Marie constitue la trame initiale du roman, Les Saules est bien plus qu’un simple thriller. Ce qui intéresse Mathilde Beaussault, c’est le paysage humain autant que naturel, la cartographie sociale d’un microcosme rural, traversé de colères rentrées, de jalousies, de tendresses étouffées. Elle donne vie à une galerie de personnages saisissants, taillés dans le bois brut des campagnes : Mimi la patronne du bar, Paulette la femme de ménage, la mère de Marie, les gendarmes dépassés par l’opacité locale…
Mais surtout, elle réussit un portrait bouleversant d’une enfance cabossée : celui de Marguerite, enfant du silence, enfant des marges, dont le regard devient peu à peu le prisme de lecture de tout le roman. Marguerite, c’est l’enfance qu’on ne touche pas, qu’on ne regarde pas, qu’on ne lave même pas. Et pourtant, elle est la clé, la faille, le pont fragile entre la mort et la mémoire.
Une langue à la fois rugueuse et lyrique
La grande force du livre réside dans sa langue, brute et poétique à la fois. Mathilde Beaussault manie une écriture sensorielle, charnelle, traversée de comparaisons fulgurantes et d’images saisissantes. Elle alterne les chapitres narratifs, les descriptions atmosphériques puissantes et un dispositif d’interrogatoire particulièrement original : seuls les monologues des villageois interrogés nous sont donnés, sans les questions des policiers. Ce procédé, d’une efficacité redoutable, fait surgir les caractères, les fissures, les tensions sans jamais sombrer dans le théâtre ou le pathos.
Par touches successives, l’autrice tisse un tableau réaliste et presque cinématographique de la Bretagne des années 1980. On y entend les bottes dans la boue, le bruissement des saules, les soupirs retenus et les grincements des silences. Chaque scène porte en elle le poids d’un monde rural en mutation, blessé par ses contradictions : attachement à la terre et souffrance du labeur, traditions figées et pulsions de modernité, pudeur virile et misère affective.
Une Bretagne littéraire entre noirceur et lumière
On pense bien sûr à certains romans de Marie-Hélène Lafon, de Pierre Pelot, à Des hommes de Laurent Mauvignier ou aux chroniques rurales de Claudie Gallay. Mais chez Marhilde Beaussault, il y a une résonance très particulière : celle d’une Bretagne intérieure, loin des clichés touristiques, loin des falaises et des menhirs. Une Bretagne de l’ombre, des champs labourés, des cuisines où l’on mange en silence, des corps fatigués par le réel.
Avec Les Saules, Mathilde Beaussault signe un roman global : politique sans le dire, féministe sans slogan, lyrique sans affectation. C’est un roman qui serre le cœur et serre la gorge, un huis clos à ciel ouvert, qui fait de la campagne un théâtre tragique où l’humain se révèle dans sa plus nue vérité.

Née en Bretagne, fille d’agriculteurs, enseignante en lettres, Mathilde Beaussault écrit avec ses tripes et sa mémoire. Ce premier roman magistral est une révélation. S’il fallait retenir un seul nom de la rentrée littéraire 2025 pour ce que la littérature a de plus humble et de plus vrai, ce serait sans doute le sien.
Les Saules
Autrice : Mathilde Beaussault
Éditeur : Éditions du Seuil
Collection : Cadre noir
Date de parution : 10 janvier 2025
Format : Broché
Pagination : 304 pages
Dimensions : 14 x 20,5 cm
Poids : 370 g
ISBN : 978-2-02-155812-1
Prix public TTC : 19,90 €
EAN13 : 9782021558121
Diffuseur / Distributeur : Volumen / Interforum