L’Accord commercial anticontrefaçon (ACAC ; en anglais Anti-Counterfeiting Trade Agreement : ACTA) est un traité international multilatéral concernant les droits de propriété intellectuelle. Le champ d’action de l’ACTA s’étend ainsi aux marchandises, notamment aux produits contrefaits, aux médicaments génériques ainsi qu’aux infractions au droit d’auteur sur Internet et les technologies de communication ». La Comission européenne l’a ratifié hier, le 26 janvier 2012, en toute discrétion…
Périmètre d’influence
Ce traité vise à établir un nouveau cadre juridique que des pays peuvent rejoindre volontairement. En pratique, il s’agit de créer un organisme de gouvernance en dehors des institutions internationales déjà existantes (comme l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ou les Nations Unies). Les pays signataires regroupent déjà la zone d’influence étasunienne et européenne : l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, les États-Unis, le Japon, la Jordanie, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et l’Union européenne.
Une mise en place sujette à caution
La chose est rare pour être signalée : le jour même de la signature par l’UE, le 26 janvier 2012, Kader Arif, le rapporteur du projet au Parlement européen a démissionné. Il a dénoncé l’ensemble du processus ayant abouti à la ratification de cet accord, qu’il qualifie de « mascarade antidémocratique ». Avec une lucidité que lui confère une connaissance intime du texte, il a dénoncé les graves menaces que ce texte fait peser sur la société civile. Qui plus est, son adoption a été entérinée sans prendre en compte les modifications légitimes émises par le Parlement européen. Pire, tout a été fait pour que l’opinion publique ne prenne connaissance de son existence que le plus tard possible.
De l’intérêt démocratique de Wikileaks…
Heureusement, les documents ont été mis en ligne en mai 2008 par Wikileaks. Dès lors, la société civile s’est fortement mobilisée exigeant une procédure démocratique de négociations. Deux ans après, soit le 20 avril 2010, une version officielle est enfin publiée.
Alors que l’idée de créer un traité multilatéral sur la contrefaçon a été développée par le Japon et les États-Unis en 2006, alors que le Canada, l’Union européenne et la Suisse ont rejoint les discussions préliminaires en 2006, alors que les discussions officielles ont débuté en 2008… la publicité au public s’est faite fortement attendre, soit 4 ans… Une conduite coupable que n’a pas manquée de souligner l’eurodéputée Marielle Gallo.
En pratique, quel cadre juridique ?
L’objectif en soi louable de ce traité multilatéral est de lutter contre « l’augmentation dans le commerce international des contrefaçons et des produits sous copyright piratés ». Officiellement, l’ACTA vise principalement les économies émergentes, « où la propriété intellectuelle pourrait être améliorée, comme la Chine, la Russie ou le Brésil ». Cela pourrait être justifié en France quand on sait que 70% des produits contrefaits saisis par les douanes viennent de Chine. « L’ACTA rassemblera les pays conscients de l’importance majeure d’un droit à la propriété intellectuelle fort pour une économie prospère ».
Mais quelques points restent problématiques
1. L’ACTA établit un cadre juridique indépendant des institutions internationales déjà existantes comme l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, les Nations Unies, du G8, de l’OMC, de l’OMPI.
2. Le traité enjoint aux signataires de mettre leur droit en conformité avec les règles de fonctionnement prévues dans le traité, avec des dérogations importantes au principe de la procédure contradictoire prévu par le droit français, et la mise en place de procédures d’exception, dites “mesures provisoires“, visant à agir au plus vite lorsque le cas le nécessite.
3. Bien que les données personnelles soient exclues de son champ d’application, une procédure d’injonction est prévue, obligeant tout tiers violant un droit, ou présumé le violer, ainsi que tout tiers susceptible de détenir des informations, à remettre à la justice l’ensemble des éléments permettant de lutter contre ces fraudes supposées, y compris des informations concernant des tiers.
4. Il imposerait aussi de nouvelles obligations de coopérer chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), incluant la divulgation d’informations touchant leurs clients. L’Acta exige des FAI qu’ils préviennent et mettent fin à la contrefaçon, au risque de sanctions décidées par l’État. Les FAI deviennent alors des super gendarmes chargés de surveiller leur réseau. Cette mesure va complètement à l’encontre de l’idée de neutralité du net défendue par les politiques.
5. Le texte imposerait aussi, au nom de la lutte contre la contrefaçon, des mesures susceptibles de bloquer la circulation de médicaments génériques. Les génériques, notamment ceux produits en Inde, sont reconnus dans certains pays et approuvés par l’Organisation mondiale de la santé. Mais ils restent sous monopole de brevets dans de nombreux pays où ils passent en transit. En renforçant la lutte contre la contrefaçon, ACTA systématiserait des mesures de blocage de médicaments génériques, traités comme de la contrefaçon.