Samedi 24 avril 2021 marque la 24e édition de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur et la fête des librairies indépendantes. Particulière cette année, la journée sera également l’occasion de fêter les 40 ans de la loi Lang qui fixe un prix unique du livre en France. Adoptée à l’unanimité en 1981 et respectée aujourd’hui, combien de fois pourtant ce projet de loi a-t-il failli capoter ? 40 ans après la mise en vigueur de la loi Lang, où en sommes-nous ?
« Au moment où la politique suscite défiance et désenchantement, ce livre souhaite saluer le courage historique de cette loi qui a su en son temps privilégier la culture en la protégeant des dérives de l’économie de marché », Marie-Rose Guarniéry, Que vive la loi unique du prix du livre ! La loi Lang a 40 ans.
Selon un sondage réalisé à l’issue du deuxième confinement en novembre 2020, 53 % des Français.es – incluant des lecteurs et lectrices confirmé.es et occasionnel.les – de plus de 18 ans pensent que le prix du livre varie selon les régions, la conjoncture économique ou encore la période de l’année.
Promulguée le 10 août 1981 et mise en vigueur le 1er janvier 1982, la loi sur le prix unique du livre, dite loi Lang, instaure le système du prix unique du livre en France depuis 40 ans cette année. « L’éditeur fixe pour chaque ouvrage qu’il publie un prix de vente au public. Les détaillants peuvent vendre ces livres avec une marge de 5 % en plus ou en moins », écrit Mohammed Aïssaoui, écrivain et journaliste français. Le prix fixé se doit d’être respecté par tous les revendeurs – grande surface spécialisée, hypermarché, maison de la presse, grossiste, librairie traditionnelle ou en ligne.
« Le livre n’est pas un bien comme un autre : il est un bien culturel », déclarait déjà le président de la République Valéry Giscard d’Estaing le 2 août 1976. Aujourd’hui respectée et honorée, la loi Lang est même devenue une référence et a été reprise dans d’autres pays – Portugal en 1996, la Grèce en 1997, l’Italie en 2001, etc.. Elle fait officiellement du livre un bien culturel, et non plus un simple produit de consommation dans un contexte où le capitalisme et ses principes politiques deviennent de plus en plus hégémoniques. « Combien de fois ce projet de loi sur le prix unique du livre a t-il failli capoter ? »
Textes d’éditeurs, d’écrivains ou de journalistes et documents d’archives à l’appui, Que vive la loi unique du prix du livre, de l’association Verbes, revient sur l’histoire semée d’embûches de cette loi, « ses prémices et ses rebonds », et sur ses acteurs, Jérôme Lindon, éditeur français, défenseur du livre et de la librairie indépendante et concepteur de l’idée de la loi du prix unique du livre, et le ministre de la Culture de l’époque Jack Lang, en figures de proue.
« Le Secrétariat National à l’Action Culturelle du Parti Socialiste a acquis la conviction que le prix unique est effectivement […] la meilleure solution en matière de tarification du livre », François Mitterrand, lettre à Jérôme Lindon, Association pour le prix unique, 17 novembre 1977.
Révélateur de la distorsion prégnante entre grandes surfaces et librairies indépendantes, l’ouvrage rappelle la difficulté de faire appliquer un tel projet de loi face à la grande distribution, habituée aux « guerres commerciales sans foi ni loi », qui prône encore aujourd’hui le discount. « Il faut comprendre que, à travers ce combat, se jouait notre politique de la culture […] Au-delà de la loi, on a passé ce message que la création, l’intelligence, le savoir ce sont des combats à long terme », affirme Jack Lang dans le livre. Après la première lecture au Sénat et le vote unanime à l’Assemblée en 1981, les détracteurs, Édouard Leclerc et la Fnac en tête, se refusent d’appliquer une loi qu’ils estiment « liberticide ». Ils se lancent dans une lutte sans merci, « une guérilla », dans le seul but de « tuer la loi dans l’œuf ».
Quelques mois seulement après sa mise en application, le ministre de la Culture publie un décret sanctionnant les infractions à la loi pour obliger les grandes enseignes à l’appliquer. « Toute enseigne qui ne la respecte pas – dans la limite de 5% – sera passible d’une amende […] infligée autant de chaque fois que l’infraction sera constatée, et pour chaque ouvrage ! » Malgré les procès, intentés notamment par les libraires, et les amendes, le roi du discount s’entête. « Les éditions du Seuil tentent une parade en refusant de fournir l’hypermarché s’il ne se conforme pas à la loi. » La bataille juridique se termine finalement le 10 janvier 1985, quatre ans après la mise en vigueur de la loi. Le combat de Jack Lang trouve une issue heureuse, mais « n’est jamais fini », selon ses propres mots.
En 2018, 14 pays, principalement européens, avaient mis en place une mesure de prix unique du livre. Avec 3 200 librairies, la France est aujourd’hui dotée du plus grand nombre de librairies indépendantes. Pour autant, alors que le président Macron déclarait « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel » en mars 2020, la fermeture des librairies a étiqueté le livre comme bien non-essentiel. Dans un pays, « le pays des Lumières », qui calme son amour des livres et de la culture, la pilule n’est pas passée, à juste titre.
D’ordinaire malmenés par la grande distribution et le commerce en ligne, la colère des libraires était justifiée, leurs protestations également. Si les librairies et autres commerces jugés non-essentiels ont dû fermer, l’équité impose que la vente en ligne de produits non-essentiels par Amazon, Cdiscount, Rakuten, etc., devrait également être interdite. Les librairies indépendantes ont finalement dû attendre le troisième confinement pour être ajoutées à la liste des commerces essentiels. Une petite victoire qui est importante de souligner à l’aube de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur.
Que vive la loi unique du prix du livre, La loi Lang a 40 ans. Association Verbes.
Livre offert aux clients des librairies participantes à la journée mondiale du livre et du droit d’auteur.
Collaborations : Jack Lang, Antoine Gallimard, Mathieu Sapin (auteur de bande-dessinée), Agnès Desarthe (écrivaine et traductrice), Alban Cerisier (éditeur de chez Gallimard), Jean-Yves Mollier (professeur historien) et Mohammed Aïssaoui (écrivain journaliste).
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