Lydie Salvayre, lauréate du Prix Goncourt avec Pas pleurer (Seuil, 2014) qui évoquait la guerre d’Espagne, revient ici avec Tout homme est une nuit, un roman pastiche social, en apparence plus léger, mais cruellement en phase avec notre monde actuel.
Le verdict est tombé, Anas, professeur de français à Amboise, n’a plus que quelque temps à vivre. Atteint d’un cancer, il part, loin de sa femme, s’installer dans un petit village de Provence. Au lieu du calme bucolique espéré, il va y trouver la tempête.
Dès son entrée au Café des Sports, le centre névralgique du village tenu par le dirigiste Marcelin, Anas, intelligent, oisif à la peau sombre devient l’intrus, l’étranger détestable.
Ennui des régions désertées suite aux fermetures d’usine, les quelques hommes du coin se retrouvent au café pour parler de chasse, de politique déversant leur haine d’un gouvernement laxiste.
La présence de l’étranger révèle leurs peurs et leurs faiblesses. Anas devient leur bouc émissaire. Nul effort pour le comprendre. Aveuglément, les villageois espionnent chacun de ses actes, critiquent, accusent. À tour de rôle, les habitués du troquet se « montent le bourrichon » autour de leur conversation obsessionnelle sur l’intrus.
C’était comme si tous les efforts que j’avais déployés depuis mes dix-huit ans pour faire oublier aux autres l’endroit où j’avais grandi, corriger mes manières peuple et gravir l’échelle sociale par la voie des études, s’effondraient et me laissaient à nu.
En ce moment tragique de sa vie, Anas a pourtant besoin d’un peu de compassion humaine. Seul le fils de sa logeuse, ou Mîna, une jeune serveuse rencontrée dans le bus qui le conduit chaque jeudi à l’hôpital, lui adressent la parole. Marcelin et sa clique le traiteront de pervers et iront même jusqu’à l’accuser de terrorisme.
Pourquoi lorsqu’un pays partait à la dérive ou se désassemblait, lorsqu’il sombrait dans la détresse et la peur de penser, lorsque ses valeurs et ses fondements vacillaient sur leurs bases, pourquoi des fiers-à-bras, indemnes de tout doute, apparaissaient-ils alors comme le seul recours ?
Ces grandes-gueules incultes, invoquant le secours d’un Trump ou d’une Marine, n’ont pas fini de nous agacer, s’acharnant contre Anas, devenu leur ennemi naturel.
Lydie Salvayre alterne les deux voix, celles grossières et tonitruantes des habitués du café, hormis Jacques l’intellectuel qui souvent se tait laissant s’installer le pire et celle d’Anas, policée, sensible qui s’exprime dans son journal.
Le village devient le théâtre d’une chasse aux sorcières. Petite scène qui n’est pas sans rappeler celle d’un pays, qui, lorsqu’il va mal, voit monter la popularité de certains partis politiques. Mais « on ne se défend pas en excluant les autres ». La violence n’enrichit personne.
Avec ce roman, Lydie Salvayre, fille de réfugiés espagnols, traite deux thèmes qui la touchent de près , l’insertion de l’exilé et la maladie. D’une histoire de village épurée, d’une tragédie provençale, l’auteur érige une parodie des discours xénophobes, des comportements racistes qui ont vocation à faire réfléchir chacun d’entre nous.
Née en 1946 d’un père andalou et d’une mère catalane, réfugiés en France en février 1939, Lydie Salvayre passe son enfance à Auterive, près de Toulouse.
Pédopsychiatre, Lydie Salvayre est l’auteur d’une vingtaine de livres traduits dans de nombreux pays et dont certains ont fait l’objet d’adaptations théâtrales. La Déclaration (1990) est saluée par le Prix Hermès du premier roman, La Compagnie des spectres (1997) reçoit le prix Novembre (aujourd’hui prix Décembre), BW (2009) le prix François-Billetdoux et Pas pleurer (2014) a été récompensé par le prix Goncourt 2014.
Tout homme est une nuit Lydie Salvayre, Seuil, Cadre rouge, Date de parution 5 octobre 2017, 18.50 € TTC, 256 pages, EAN 97820211737032