Le conservateur des bibliothèques Malik Diallo a pris ses fonctions de directeur des bibliothèques de Rennes et de la bibliothèque des Champs Libres le 1er octobre 2020. Il prend la relève de Marine Bedel, partie en retraite, et sera secondé par Thierry Fouillet, directeur adjoint des bibliothèques municipales, et Sarah Toulouse, directrice adjointe de la bibliothèque des Champs Libres. Entretien.
Unidivers – Pouvez-vous présenter votre parcours et le style de ce jeune conservateur talentueux de 32 ans qui arrive à la tête de deux si importants équipements culturels ?
Malik Diallo – Je suis en effet né il y a 32 ans à Saint-Denis, près de Paris. J’ai grandi en région parisienne à Stains, puis à St Michel Chef Chef au pays des galettes ! J’ai fait mes études à Paris, où j’ai intégré l’école nationale des Chartes à l’issue de laquelle je suis devenu Conservateur des bibliothèques. Après deux ans de formation post-concours à Lyon à l’ENSSIB (École Nationale des Sciences de l’Information et des Bibliothèques), j’ai choisi de prendre en 2013 mon premier poste dans les Bibliothèques municipales de Nancy, où je me suis occupé du projet numérique des Bibliothèques. Super défi collectif avec Metz, Nancy, Thionville et Épinal qui a donné naissance aux sites web Limédia. Début 2020, l’opportunité du poste de direction des Bibliothèques de Rennes s’est présentée et je me suis lancé dans l’aventure. Me voilà très heureux d’arriver dans la capitale bretonne ce 1er octobre !
Depuis 2016, je préside l’ADBGV, l’association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des villes de France. Sous ce nom compliqué, que nous changerons très probablement à l’occasion, il y a un réseau associatif de cadres des bibliothèques, qui échangent sur les pratiques, communique avec élu.es et administration sur les enjeux actuels et travaille à un projet d’enseigne pour les bibliothèques.
Pour ce qui est du style, je vous laisserai voir. Vous pourrez me dire une prochaine fois !
Unidivers – Marine Bedel, qui vient de quitter ses fonctions à votre profit, avait fait paraître dans le BBF daté de 2010 un article intitulé « Quelles urgences pour les bibliothèques de Rennes ? ». Dix ans après, quelles urgences pour les bibliothèques en général et celles de Rennes en particulier selon Malik Diallo ?
Malik Diallo – À très court terme, l’urgence est d’accueillir le public dans les meilleures conditions possibles malgré les contraintes de la crise sanitaire. On s’adapte donc en permanence là-dessus.
Plus généralement, quelques grands enjeux d’actualité, qu’on peut identifier, portent sur ce qu’on peut appeler un service public de la recommandation : quelles sélections culturelles proposer face à l’hypervariété de l’offre en ligne par exemple ? Comment repositionne-t-on le facteur humain et subjectif au travers d’une médiation individualisée, qualifiée “ad hoc” ? C’est quelque chose d’important à creuser et sur quoi nous pouvons travailler comme bibliothécaires, à la fois comme “sélectionneurs” de contenus, mais aussi comme producteurs de contenus culturels. L’enjeu de la transformation des usages et pratiques culturelles avec l’outil numérique me semble aussi un axe fort toujours d’actualité.
À Rennes, le réseau de bibliothèques est dense, bien implanté dans les différents quartiers de la ville et propose une offre soutenue. Il y a donc un enjeu à rendre cette richesse lisible et facile d’usage pour la population. Le portail des M a été un grand pas dans ce sens, il s’agira donc de continuer à simplifier la communication et les outils d’accès à tous les services, sur le territoire de la ville et métropole. Autre enjeu : maintenir ce réseau de bibliothèques à un niveau d’excellence afin de proposer des services de proximité à haute valeur ajoutée. Services d’excellence qui passent à la fois par la qualité de l’équipement, mais aussi par la capacité à inventer collectivement de nouvelles pratiques, de nouvelles formes culturelles. C’est ce que nous allons faire par exemple autour du jeu et des pratiques ludiques.
J’identifie aussi un sujet de valorisation du patrimoine sur lequel nous allons travailler avec la Bibliothèque des Champs Libres. C’est un enjeu qui pourra se travailler à échelle de la Région Bretagne (en numérique ou en physique), mais aussi sur le territoire rennais, dans des bibliothèques de proximité et même au sein des Champs Libres, où les potentiels d’interdisciplinarités sont nombreux et assez singuliers en France, je veux dire en terme d’écosystème culturel bouillonnant sous le même toit !
Unidivers – En 2010, votre prédécesseur pointait déjà la désaffection des lecteurs pour les imprimés. « Malgré une fréquentation des bibliothèques en hausse, en particulier par les jeunes publics, la lecture – aussi bien de livres que de bandes dessinées – est une pratique qui continue de baisser au sein de la population », enfonce le clou une étude récente *. Avec les mesures sanitaires contraignantes qui pourraient persister, voire s’appesantir, quels enseignements et perspectives devriez-vous en tirer ?
Malik Diallo – Il est intéressant de voir comme les bibliothèques ne sont plus seulement un lieu du livre, de la lecture de livres, mais plus un carrefour entre des personnes et des contenus culturels d’une part et entre des personnes entre elles d’autre part. La force des bibliothèques est d’inventer à chaque fois des moyens différents : mise à disposition de contenus variés (de la musique, des films, des livres, des jeux), de lieux différenciés (des salles d’études, des salons), d’outils (ordinateurs, tablettes numériques, instruments de musique), etc. Mais le tout est au service de valeurs et d’objectifs politiques inchangés qui sont le cœur du projet, le cœur du service rendu à la population à savoir une égalité d’accès à des usages culturels, l’insertion dans un collectif (on n’est jamais seul en bibliothèque !) et une source d’émancipation pour chacun.
Et là on pourrait se dire que la Covid va nous faire tomber par terre tous ces beaux outils. C’est un peu le cas pour certains, cela nous a un peu sonné : comment faire du lien social si on ne peut plus se réunir ? Soyons rassurés : inventer c’est notre métier. Le challenge maintenant est donc de reconstituer un panel d’outils dans ce nouveau contexte, avec les mêmes objectifs en tête. On avance en marchant, personnels et publics, mais on commence déjà à voir émerger de nouvelles pistes, de nouvelles formes : des actions culturelles petit format, des relations plus individualisées dans les médiations qu’on propose, des nouveaux services en ligne, etc.
Par ailleurs, on a vu pendant la crise sanitaire, alors que les lieux étaient fermés, les bibliothèques se « concentrer » sur certains points : l’offre culturelle dématérialisée (histoires filmées, cours en ligne, films, livres numériques) et l’offre de prêts de documents à distance. Cela permet de voir que la mission principale des bibliothèques reste quand même le partage des contenus culturels. Bien entendu, cela ne fait pas tout et un des enjeux de la rentrée a été de pouvoir rouvrir nos lieux avec les services essentiels qu’ils proposent (par exemple l’accès internet) et plus largement, de réussir à faire de ces lieux des endroits apaisés. Je trouve cette notion d’apaisement essentielle. L’accompagnement quotidien éducatif, culturel et de loisirs que propose la bibliothèque touche parfois à l’intime, au personnel. Cette expérience culturelle ne peut avoir lieu que dans un lieu apaisé, alliant à la fois mesures sanitaires sécurisantes pour tous et climat agréable, sans rubalises ou espaces sens dessus dessous. C’est bizarre de le dire comme ca, mais il faut pouvoir proposer au public de s’installer confortablement dans ce contexte covid, tout en espérant qu’on en sortira le plus vite possible.
Unidivers – Autre versant problématique révélé par la Covid : la fracture numérique. De fait, les bibliothèques mettent à disposition des ressources numériques, mais une partie non négligeable des Français ne savent pas se servir d’un ordinateur…
Malik Diallo – C’est un enjeu majeur dont nous devons tenir compte en effet dans l’accessibilité de l’offre numérique que nous proposons. Le public en difficulté sur des usages numériques se tourne souvent d’ailleurs vers la bibliothèque pour rechercher une aide. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, mais ce phénomène a pris de l’ampleur depuis quelques années. Les bibliothèques y répondent souvent par une offre culturelle utilisant les outils numériques, par une offre de formations et d’ateliers qu’elles co-construisent le plus souvent avec des partenaires associatifs, les administrations et les usagers eux-mêmes. À Rennes, plusieurs espaces et acteurs travaillent sur cette problématique d’inclusion numérique : l’espace « Vie du citoyen aux Champs Libres », les Espaces Sociaux Communs, la Maison des aînés et des aidants, le projet Édulab de l’hôtel Pasteur, etc. Et aussi les bibliothèques, qui doivent travailler à consolider et renforcer leur offre sur le sujet, car elles sont sollicitées de plus en plus par les publics.
Unidivers – Je vous pose la question bien que j’imagine la réponse. La gratuité vient d’être votée pour la BCL et les bibliothèques de la Ville de Rennes. Que pensez-vous de cette décision (politique) forte (voir notre article) ?
Malik Diallo – Oui c’est un vrai signal politique fort, positif, engageant et structurant en faveur de l’égalité d’accès de tous aux services et usages culturels que nous évoquions tout à l’heure. Nous pouvons nous en réjouir. De façon très pragmatique, cela permet de lever des barrières dans l’accueil du public. Cela permet de créer un contact différent. C’est tout bête, mais la gratuité simplifie nombre de procédures sur place ou en ligne par exemple. Autant de temps et d’énergie que nous pouvons passer sur de la médiation, de l’accueil, sur la valorisation de cette offre accessible et attractive. Notre travail va aussi consister à renforcer nos médiations et attractivité auprès de celles et ceux pour qui le tarif payant n’était pas le seul frein. Grâce à ce levier politique, nous avons, nous professionnels, un moteur pour appuyer et développer des actions ; et faire en sorte que les habitants puissent s’approprier encore plus facilement l’outil bibliothèque au-delà des inégalités et frontières sociales. C’est ce à quoi nous travaillons à présent.
Unidivers – La question de la mise en réseau de la bibliothèque des Champs Libres avec les bibliothèques de la Métropole et des bibliothèques de quartier de la Ville de Rennes s’avère épineuse. La place du public est centrale tant à la BCL (notamment le département des publics, l’espace vie du citoyen, à l’instar des bibliothèques de la Ville qui sont des établissements culturels de proximité au cœur des quartiers). Pour autant, les Rennais ne comprennent toujours pas : un catalogue et une carte d’abonnement en commun mais… pas de circulation des documents ! C’est incohérent… Si de rares initiés comprennent que les collectivités de tutelle ne sont pas les mêmes – Métropole et Ville – les usagers ne le comprennent pas. Quelle pourrait être votre solution ?
Malik Diallo – Un certain nombre de services ont été harmonisés, mais il reste des points non résolus comme celui que vous soulevez. Cela fait partie de ma feuille de route d’arrivée : nous allons travailler en équipe ces prochaines semaines pour répondre à ces problématiques, au service des usagers.
* Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Philippe Lombardo, Loup Wolff, 92 p. – étude publiée par le Ministère en juillet 2020