Marché Noir. La Voie souterraine du rap rennais

Marché noir sortait son premier album le 25 mars 2022. Le groupe rennais porté par Casta et Oliver Saf, rejoints en live par le DJ et producteur Runcol, entend bien revenir à un flow brut, punk dans l’esprit, où les textes désabusés du rap français d’hier rencontrent les sonorités énergiques et électroniques de la scène hip hop actuelle. Avec Souterraine, le trio jette un volumineux pavé de 15 titres dans la mare d’une époque en crise. Retrouvez le groupe Marché noir en concert le vendredi 9 septembre à la brasserie La Bizhhh au Rheu.

Marché noir a pris vie au fond d’une cave rennaise. L’opération clandestine mûrit depuis fin 2019 dans le secret du sérail rap rennais. Le nouveau groupe sortait finalement un premier album le 25 mars 2022. Souterraine est un manifeste rap underground, ne revendiquant rien d’autre qu’une vision lucide et désabusée du monde qui nous entoure, un nihilisme d’époque. Entre l’expectoration brutale et le diamant brut, Marché noir est le fruit interdit des entrailles de Casta et Oliver Saf, deux rappeurs du groupe rennais Micronologie, qui avait connu son petit succès entre 2005 et 2014, année de leur dernier album.

marché noir
De gauche à droite, Oliver Saf, Runcol, Casta, un journaliste en action.

Après cette expérience fondatrice, les membres de Micronologie se dispersent dans différents projets. Safirius monte Darjeeling Speech, puis Papillon, et son projet solo Oliver Saf : du rap toujours, mais sur des sons plus rock, folk ou électronique. Casta, quant à lui, se conforte dans le rap actuel, tendance trap et autotune, avec trois albums solo à son actif. Les deux amis de longue date continuent de se fréquenter, mais ne collaborent pas pendant cinq ans. Jusqu’à ce que Saf convie Casta en featuring avec Papillon. « À un moment, j’ai eu l’envie de revenir à un rap plus vrai », raconte Casta. « Saf m’a invité sur son projet, on a vu qu’il y avait toujours le même feeling entre nous, alors on a continué de composer ensemble ».

De nouveau réunis, Casta et Saf veulent un rap sans concessions et sans filtre, underground, assez littéralement puisque c’est dans une cave qu’ils écrivent et enregistrent. Avec en tête des modèles comme 36 Chambers, le premier album du Wu-Tang Clan, les deux Rennais recherchent un caractère brut, assumant volontiers le côté crade, le côté punk. Car comme le rappelle Saf : « À Rennes on est à l’aise avec cet état d’esprit, la scène rap a toujours été en contact avec le rock et le punk ».

« Dans nos projets solo on était plus lisses, plus accessibles », précise Casta. Saf poursuit : « marché noir, ça veut dire en opposition à l’industrie. On est retournés dans les profondeurs pour cracher un son spontané. Le marché noir est symptomatique d’une époque qui va mal. On prend la position de témoins, d’observateurs pour parler de cette période, on est un groupe d’époque ».

Les deux rappeurs commencent alors à récolter des instrumentales auprès de producteurs hip hop. L’un d’entre eux est Runcol. DJ rennais spécialisé dans la drum’n’bass, la trap et plus largement les sons dits “UK” — c’est-à-dire venus de styles s’étant particulièrement développés au Royaume-Uni — il s’est sérieusement mis à la production pendant le premier confinement de 2020. « On avait déjà parlé avec les gars de faire une prod’ grime pour eux. Je les écoute depuis mon adolescence, rien que ça aurait été un bel accomplissement », explique Runcol. Il produira finalement quatre morceaux du premier album, et rejoint officiellement le groupe pour les concerts.

Entre octobre 2019 et la fin du premier confinement, Marché noir prend forme. L’association des deux rappeurs était pensée avant tout comme un exutoire, un moment amical et musical. Mais le projet se structure avec l’arrivée de Runcol. Un DJ et producteur dans l’équipe, c’est l’opportunité d’envisager une formule live. Et Runcol apporte aussi sa patte musicale, ses influences et sa créativité.

La première instrumentale envoyée par Runcol est celle qu’on retrouve dans “Mannschaft”, un son qu’il a voulu « à la Skepta », à la fois mélodieux et caverneux. De leur côté, Casta et Saf sont déjà friands de ces influences anglaises. « Sans doute du fait de la proximité avec l’Angleterre, il y a toujours eu de la bass music à Rennes, de la drum’n’bass, de la jungle », témoigne Casta, se remémorant le featuring de Micronologie avec les Anglais de Foreign Beggars. « On est à équidistance entre Paris et Londres », résume Saf.

Pourtant, enfant de la teuf bretonne, Runcol ne s’enferme pas dans l’archétype, et puise aussi bien dans le vaste univers techno qui a bercé ses oreilles. Et il n’est pas le seul à apporter ses influences à l’édifice collectif de Souterraine : Dan Voisin (du groupe Eighty), Guillaume Séné (Sax Machine), Spectateur, Ober, Heisz, Julio, pour les beatmakers. On retrouve aussi le violon de Judith Vernay dans le tube “La Nuit est une femme”, et la voix de Marion Rouxin dans “3 Soleils”, une artiste de chanson française et de musique jeunesse qui a relevé le défi de rapper sur un morceau.

Tourné place de la République à Rennes, pendant le premier confinement de 2020. « On s’est faits contrôler au moins quatre fois », rigole Casta.

Ainsi, l’album dans son ensemble, volumineux (« on a tout gardé ! », précise Casta), passe d’une esthétique à une autre, comme autant de paysages à parcourir. Il s’illumine dans “3 Soleils”, le moment le plus tendre certainement, clin d’œil au centre-commercial rennais, en fait dédié aux deux filles et à la compagne de Casta, ses trois soleils. Il rend un vibrant hommage dans “Le Daron”. Mais Marché noir se plaît bien plus dans la nuit et est plutôt enclin à “nique [r] sa mère” (“NSM”), à chanter la “Crack House”, les “Damnés”, le “Burn Out”, la noirceur (“Darkness”) et la “Sale Blessure”. « J’adore l’apocalypse en ce moment », s’amuse Saf. « On est entourés de ça », constate-t-il, « de gens qui sont mal, de gueules cassées. On n’est pas du côté des vainqueurs de l’industrie ni de la rue. Ça nous tient à cœur de montrer l’envers du décor ». Et Casta devise : « On fait du rap de province, du rap qui dit “on” ». Mic drop.

Rap de province, avec ses belles références à Rennes, cimetière de l’Est, Ille-et-Vilaine, Babacar Gueye, mais rap français de compétition internationale, ayant retenu le meilleur de la scène française des années 1990 — un sens aiguisé de l’observation s’exprimant dans des textes ciselés livrés sur des flows impeccablement maîtrisés — et des évolutions musicales actuelles du hip hop. Marché noir défendra Souterraine sur scène dès le 25 mars 2022, jour de sortie de l’album, au Doujezu à Rennes. Pas de doute qu’on devrait les voir à d’autres affiches une fois que ce brillant premier opus aura fait son chemin jusqu’aux oreilles des équipes de programmation.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

2 Commentaires

  1. Bonjour,
    je viens de vous découvrir ,
    j’ai un texte à vous préposer
    A voir
    mais je suis une vraie bille en internet
    je sais même pas comment faire pour l’envoyer

  2. Le texte commence comme ça:
    T’as voulu Bardella, là
    t’as presque gagné
    On l’a le bordel, là!
    Et moi, jamais je ne veux ça
    Quitte à me battre au bout de toutes les libertés
    Mais, purée, regarde, bordel, là
    Regarde les nuages que je sculpte pour mon petit-fils
    Moi, j’ai envie de te parler de poésie
    Plutôt que d’autres mots qui riment en « zi »
    Si ça te parle pas la littérature,
    Bordel, là ,maintenant
    Ouvre tes oreilles,
    Ecoute-les les Rimbaud, Prévert, Vian, Monsieur LEO ,le grand Jacques, Edith, Hoshi, Zaho, Higelin, Thiéphaine, Bashung.
    Tu sais, les mots qu’ils écrivent s’appellent des vers,
    Pas ceux qui rongent les migrants,
    Ceux qui chantent aux portes ouvertes à l’amour.
    Et, bordel, là, tu verras entendras …
    Toi; tu veux une France lavée des « étrangers »
    T’as pas entièrement raison, bordel, là.
    Moi aussi, je veux la laver notre France
    Mais pas la karchériser.
    Et, bordel, là,
    J’ai la prétention de la laver de toutes les haines
    Et je te demande une seule chose, bordel, là
    regarde autour de toi
    Et bordel, là
    tu verras de si belles choses
    Que ton regard changera
    (Nom de dieu de putain de bordel, là)

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