La guerre 14-18. Encore ? Certains soupirent devant l’overdose de commémorations. Pourtant jusque dans les années 80-90, il ne faisait pas bon toucher au mythe (rappelons-nous l’accueil mitigé du film de Kübrick, les Sentiers de la gloire). Le centenaire permet enfin d’effriter (un peu) le monument national. La collection documentaire 14/18 – au-delà de la guerre s’interroge sur le poids du passé dans la vie contemporaine. Le film, écrit et réalisé par Marie-Laurence Delaunay, aborde la question de la dette. Entretien.
Unidivers : Comment une boite de production rennaise est-elle conduite à s’investir dans un tel projet ?
A l’aube de la Grande Guerre, la France est une grande puissance économique mais surtout une place forte financière. Avec ses placements à l’étranger, elle fait figure de banquier du monde d’autant que les Français sont de très bons épargnants. Mais la guerre va remettre en cause cette prospérité. Elle va engloutir les économies d’un siècle, marquer la fin d’une société, enterrer à jamais la stabilité monétaire et détrôner la France de sa position financière internationale. |
Marie-Laurence Delaunay : L’idée a germé lors d’échanges avec un collègue du Nord. Pas une famille de France n’a été épargnée, pas un village qui n’ait été marqué : la guerre 14/18, c’est notre album de famille commun. Mais comment rendre compte des métamorphoses que la guerre a générées dans notre pays ? Notre questionnement a pris la forme d’un défi, relevé avec quatre producteurs et cinq auteurs installés dans les quatre régions correspondant aux pôles régionaux de France 3.
U : La collection est-elle traitée de façon régionaliste ?
Marie-Laurence Delaunay : Pas du tout. Chaque film sera diffusé dans tout l’hexagone (mais par sur FR3 national !) et doit donc aborder un aspect commun.
U : Vous avez hérité du nerf de la guerre : l’argent. Il y a beaucoup d’images d’archives sur ce sujet ?
MLD. : À vrai dire, pas beaucoup – c’était même l’inquiétude des diffuseurs ! Il existe beaucoup d’images sur les files d’hommes qui faisaient la queue pour récupérer leurs dépôts dans les
banques à l’annonce de la mobilisation générale. Ceci dit, on était quand même au début de la communication. Les meilleurs affichistes – tel Poulbot – ont été sollicités pour motiver les prêteurs. Un couple d’industriels parisiens, les Leblanc, a collecté une grande quantité d’affiches, qu’ils ont ensuite léguées à la Bibliothèque de documentation et d’information contemporaine (université de Nanterre). Par ailleurs, quand il est question d’argent, on pense banque ; j’ai donc approché la Banque de France qui m’a ouvert ses portes. Leur service archives et patrimoine est d’une grande richesse.
U : En 1914, les Frères Lumière étaient passés par là.
MLD. : Le cinématographe a été très utilisé pour inciter les Français à sortir leurs économies. Quand les soldats sont partis, ils étaient convaincus qu’ils seraient de retour pour les vendanges ou au moins à Noël… Dès qu’on a compris que la guerre durerait, il fallait la financer. En fait, nos dirigeants pressentaient dès 1870 qu’on remettrait çà avec les Allemands. Les tensions augmentant, la Banque de France avait signé une convention décrétant qu’en cas de conflit, elle tenait à la disposition de l’État 3 milliards de francs ors – en 1911 !
U : Un sacré coffre-fort ! Comment glisse-t-on vers la dette ?
MLD. : Imaginez que jusqu’en 1914, la société était (relativement) mondialisée. Pas de passeport. Une monnaie unique : l’or. Depuis 150 ans, le prix du pain avait peu augmenté. Comme la guerre dure, l’État active la planche à billet, ce qui déclenche l’inflation – le mot date de cette époque – et de facto, développe la dette publique.
U : Ce bouleversement en appelle d’autres, sans doute ?
MLD. : Oui, énormément. Pour économiser l’énergie, on décrète l’alternance heure d’été/heure d’hiver. L’industrie découvre le taylorisme. C’est le début des chaines. Et aussi le lancement de l’impôt sur le revenu, et bientôt des aides aux familles – les ancêtres des allocations familiales ! En fait, le rôle de l’État en sortira considérablement accru.
U : On savait que le traité de fin de la 1re guerre mondiale portait en germe la 2e, mais votre documentaire donne un éclairage inédit sur les conséquences économiques et sociales de la supposée « der des der ».
MLD. : Paroles d’experts ! En l’occurrence, il s’agit de deux universitaires de Rouen et de Bordeaux. Leurs interviews rythment le film avec des images d’archives et des bandes dessinées par Nathalie Bodin et des séquences d’infographie signées Hervé Huneau, assisté de Philippe Maujard… qui chante dans le film !
U : Les vieux rockers rennais apprécieront ! On entend aussi la voix off de Romane Bohringer.
MLD : Elle apporte beaucoup de sensibilité aux échanges épistolaires de la famille fictive que j’ai créée comme fil conducteur. Je dois rendre hommage aussi au travail de l’équipe de France 3 Bretagne et particulièrement celui de la monteuse, Katia Manceau.