Connaissez-vous bien votre quartier de résidence, les endroits cachés ou les coins inattendus ? Vous serez surpris, mais la nouveauté et l’émerveillement peuvent se trouver à portée de main, dans un périmètre très restreint. Le photographe Martin Boudier réside à proximité de la rédaction Unidivers et nous l’apprend avec la série photographique Instagram « One Hour Walks », réalisée pendant les deux confinements successifs de 2020. Qui a dit que découvrir un kilomètre autour de chez soi était ennuyeux ?
Prenons-nous réellement le temps d’arpenter les alentours de notre domicile ? Vous est-il déjà arrivé de vous perdre volontairement dans votre quartier ? Pour profiter des petits parcs avoisinants que l’on ne remarque pas tout de suite, laisser les pieds faire trempette dans la sublime Vilaine (tout compte fait, celle-là n’est pas la meilleure idée du moment), faire de petites balades le long du fleuve en direction de lieux encore inexplorés, de recoins peut-être insolites… Que nenni ! L’humain rêve de voyage et d’évasion, d’aventure et d’inconnu. Il rêve de grimper des monts enneigés, de se dorer allègrement la pilule sur une plage abandonnée (coquillages et crustacés…). Après tout, l’herbe n’est-elle pas plus verte ailleurs ? L’inconnu a ce quelque chose de grisant, l’excitation donne des papillons dans le ventre (le genre que l’on aime)…
Cependant, par les temps qui courent, prendre l’avion pour une escapade à l’autre bout du monde relève plus du périple que des vacances. Une affaire mise en place sous haute sécurité, KGB et FBI réunis, test PCR à l’appui et quatorzaine assurée selon la destination. Malgré la difficulté du moment à se projeter, est-il possible de tirer un minimum de positif des confinements, passés ou à venir ? Avant de laisser tomber le couperet de l’indignation et de conduire Unidivers au bûcher pour propos innommables, avouons que le malaise ambiant était propice à la réflexion et même parfois à un nouvel élan de créativité. Nombre de personnes se sont reconverties et ont adopté un métier plus adapté à leurs envies, de multiples projets ont fleuri et un élan de solidarité sans précédent est né, réchauffant les cœurs rongés par l’angoisse et l’impuissance.
Pour certain.e.s, le confinement a également été un de ces ingrédients qui a éveillé la curiosité artistique, montrant une nouvelle fois à quel point la culture et la création sont des éléments essentiels de notre société. Rennais depuis 10 ans, le photographe Martin Boudier a suivi à la lettre les mesures de restriction des deux confinements successifs. De ces contraintes est pourtant née une pratique artistique différente. « Ma liberté est née de ces contraintes – confie-t-il. Je restais exclusivement dans la photographie professionnelle et la commande, mais le confinement a fait naître des envies, des projets. »
À 400 mètres de la rédaction d’Unidivers vit ce photographe, mari et père de famille. Un chat a peut-être neuf vies, mais Martin Boudier en a également eu plusieurs. Aujourd’hui, il est un slasher. Ne vous méprenez pas, nous ne parlons pas de la catégorie cinématographique du film d’horreur apparu dans les années 70, mais simplement d’une personne avec plusieurs métiers – beaucoup moins sanglant qu’un groupe de jeunes perdu au milieu de la forêt et traqué par un tueur psychopathe armé d’une tronçonneuse ou d’un couteau, mais la rencontre s’est, de ce fait, déroulée avec l’esprit tranquille.
Photographe professionnel autodidacte depuis 2006, il organise en parallèle des sessions de travail collaboratif. Pendant le confinement, il a troqué son habituel Canon 5D contre son téléphone portable, un iphone 10. Plus légers et moins encombrants, ces nouveaux gadgets électroniques permettent une qualité photographique souvent remarquable, sans compter les multiples options de retouche pour se laisser aller à la créativité. « Quand j’ai commencé à prendre des photos de mes sorties, je n’avais pas dans l’idée de faire une série. Les premières ont été postées le 13 avril sur Instagram, soit un mois après le début du confinement », précise-t-il. Lui qui n’avait jamais utilisé Instagram se lance dans le projet photographique « One_hour_walks ».
Découvrir les photographies de la série « One hour walks » de Martin Boudier peut s’apparenter à une plongée dans l’environnement d’Unidivers, les alentours inspirants qui entourent la rédaction alors que chacun tapote frénétiquement sur son clavier, les méninges en ébullition, à la recherche de la phrase parfaite afin de satisfaire en culture notre cher lectorat. Alors, comment aurions-nous pu passer à côté d’un tel projet ? Les plus grands détectives (ou les fans incontestés de la première heure) relèveront peut-être le défi de trouver la localisation de la rédaction, à 400 m près. Mais jouez le jeu, regarder l’adresse sur Internet sera considérée comme une pitoyable tricherie !
« 1 kilomètre – 1 heure » sur @one_hour_walks
Après l’annonce du premier confinement, l’interdiction de sortir plus d’une heure et dans un périmètre d’un kilomètre autour de chez soi a rapidement suivi. Si peu, mais la nouvelle est tout de même accueillie comme « une respiration », un bol d’air frais dans l’ambiance anxiogène du moment. « Habituellement quand je fais de la photo, j’ai toujours en tête le brief et les besoins du client pour respecter la commande. Pour une fois, je partais avec zéro contrainte, sauf celle du confinement. »
La contrainte du confinement a été révélatrice pour Martin : l’occasion pour lui de découvrir les joies des projets personnels, de ceux pour lesquels on ne trouve jamais le temps, et de la photographie plus spontanée, de celle pour laquelle on laisse libre court à la créativité, à la spontanéité. « J’ai arrêté de planifier les sorties et de prévoir un itinéraire. En méditation, on appelle ça « être en présence ». Tu vis ce qui arrive et tu ne commences pas à projeter. » Martin s’est laissé la liberté de ne pas penser et dans une société aussi rapide que la nôtre, quelle tâche ardue !
Dans la continuité du premier confinement, le deuxième a fait l’objet d’une nouvelle série qui accompagne l’évolution du paysage, urbain ou naturel, au fil des saisons : certains graffs ont eu le temps de disparaître, les arbres se sont dévêtus créant un tapis de feuilles au crépuscule de leur vie et les teintes rougeâtres réchauffent la lumière, apportant avec elles l’ambiance de la nostalgie de la fin de l’été et du début de l’automne. Aux 22 balades déjà existantes, Martin en ajoute neuf aux couleurs de l’automne et ses journées écourtées. De nouveaux chemins ont été traversés avec la même idée en tête : ne pas réfléchir, ne pas s’imposer de prendre des photos.
Vous reconnaîtrez certains endroits, d’autres moins. « One Hour Walks » est un véritable jeu de piste pour les habitants de la ville. La chouette de War, le jardin de la Confluence et le Mabilais côtoient des portes dérobées, des bâtiments invisibles au premier regard et des graffeurs encore inconnus. Peut-être les prémices de la relève des grands qui ont forgé le street-art à Rennes et que Martin a immortalisé ?
« la contrainte (DU CONFINEMENT) A PROVOQUÉ UN REGAIN DE créativité », Martin Boudier.
Photographiant l’humain depuis 15 ans, particulièrement dans son travail, il a notamment réalisé nombre de portraits de personnes issues du monde de la gastronomie, « mais cela peut également être de l’artisanat, l’agriculture ou autre ». A contrario, « la série « One Hour Walks » montre très peu de personnes, à part moi », s’amuse-t-il à souligner. Mais ne peut-on pas voir l’absence de présence humaine comme une suite logique à son travail ? Martin s’attache certes à l’humain, mais la situation actuelle n’est-elle pas un aperçu de la vie de l’homme à cet instant T ? Dans une situation telle que celle vécue par la pandémie de coronavirus, l’homme perd toute liberté et brille par son absence dans le paysage urbain.
Un troisième confinement n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour en Bretagne, mais ne nous réjouissons pas trop vite. Un confinement peut en cacher un autre. La plupart du temps dans votre angle mort… il guette, frétille d’impatience et saute sur vous quand on s’y attend le moins ! En attendant, Unidivers ne peut que vous conseiller de vous rendre sur le compte instagram de Martin Boudier afin de découvrir la totalité de la série. Ainsi qu’aller parcourir sa nouvelle série « Morphoses » où le travail du reflet des arbres est digne des plus grands tests psychologiques de Rorschach. « Les branches des arbres sont comme des ramifications, un réseau que la nature crée. Après coup, je me suis rendu compte que ce projet avait toujours été en moi. » Unidivers préfère taire les représentations qui traversent l’esprit délicieusement dérangé des journalistes de la rédaction, mais vous, cher lectorat, que voyez-vous ?