Nicole et Franky ou Franky et Nicole, hilarante revue BD indé !

Écoutez Nicole et Franky comme Franky et Nicole : leur discours libre sur le milieu de la bande dessinée est hilarant ! Deux fois par an, les éditions Cornélius et les Requins Marteaux, tous deux situés à Bordeaux comme dans les marges du neuvième art, se relaient pour publier une revue consacrée à la BD indépendante : Nicolas et Franky versus Franky et Nicole. C’est au tour de Cornélius de commencer l’année 2016 avec un quatrième numéro aussi éclairant que désopilant…

 

Nicole Franky CornéliusFranky, c’est les Requins Marteaux. Nicole, c’est Cornélius. La petite blonde édentée donne la couleur de la revue : pas de demi-teinte, mais du brut, du franc-parler et de la contrebande dessinée. Les sorties discursives de JL Capron (alias Jean-Louis Gauthey, auteur et éditeur à Cornélius) dressent un portrait craché et au vitriol de la BD contemporaine.

La preuve en est la terminologie que l’industrie a trouvée à ce qui est déjà devenu un rayonnage : la bande dessinée du réel. Tartuffade !– explique Foufardon à Moulebuche dans un texte appelé « Le chantage au réel ». Parmi les critiques (nombreuses) adressées à la BD d’aujourd’hui, la bande dessinée du réel est au premier rang. Une manière de définir la ligne éditoriale de cette revue de 300 pages environ ! L’année 2016 a vu naître plusieurs revues proches de la tendance « réel » : Casterman a lancé en janvier Sociorama, une revue qui croise donc sociologie et dessin, Dupuis, au même moment, fait paraître Groom, de l’actualité en BD, La Revue Dessinée prépare pour l’été une revue bimestrielle de BD documentaire à destination des adolescents. Nicole, c’est pas trop son truc, alors elle préfère écharper au passage le chantage au réel, donc les biographies, les adaptations, ou encore la vulgarisation.

Nicole Franky CornéliusMais Nicole donne aussi beaucoup d’amour ! Le texte d’ouverture de Bill Franco, « Pour en finir avec 2015 », est tout simplement une mine d’information sur une année entière de BD. Mois après mois, l’auteur revient sur l’actualité, les attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre, le festival d’Angoulême, la mort de certaines revues, la naissance des autres. Il n’est pas toujours tendre, épingle sévèrement les sélections de la CIBDI – Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image – et quelques auteurs, comme « Scott-J’t’explique la-bédé-McCloud ».

Surtout, nous avons droit à une recension des coups de cœur et chefs-d’œuvre de l’année : entre autres, Capharnaüm de Lewis Trondheim (L’Association), Ici de Richard McGuire (Gallimard), le « je-vais-te-soigner-de-la-bd-du-réel » En temps de guerre de Delphine Panique (Misma), ou encore Barnaby de Crockett Johnson (Actes Sud/L’An 2). L’occasion nous est offerte de découvrir certains des ouvrages édités par Cornélius en 2015 : Tumultes d’Hugues Micol, Le Retour de Mr. Natural de Robert Crumb, Les Intrus d’Adrian Tomine (voir notre article), cette ville te tuera du regretté Yoshihiro Tatsumi, mort cette année-là.

Nicole Franky CornéliusNicole vous informe sur la bande dessinée de manière critique et ironique. On retrouve la fraîcheur et l’humour d’un Fluide glacial à ses débuts, avec une exigence esthétique toutefois nettement plus développée. Les diatribes de JL Capron émaillent la revue : on s’instruit, et on rigole beaucoup. Tout y passe : la moquerie des acronymes (le PLOUC, par exemple, « Paquet Libertaire d’Ouvroir Utopique du Comics »), du mook, « de mou et de bouc, truc informe qui sent pas bon », de la hiérarchie des arts (le dixième art regrouperait les arts ingénieux, « modélisme, origami, prestidigitation »), la critique du « nivellement par le milieu », du « chantage au réel ».

Nicole Franky CornéliusNicole, surtout, donne sans compter le meilleur de la bande dessinée. On y découvre des bédéistes publiés notamment chez Cornélius, comme Blutch, Ludovic Debeurme, Hugues Micol, Giacomo Nanni. Mais aussi des auteurs édités ailleurs (le plus souvent dans le milieu de la bande dessinée dite indépendante) : Mandryka, Olivier Texier, François Ayroles ou Delpine Panique. On y rencontre des perles humoristiques (par exemple la « BD réalité » de François Ayrolles qui met en scène Alain Finkielkraut pris au piège des phylactères), des intentions graphiques surprenantes (les planches de Jérôme Dubois), un travail magnifique sur la couleur (les dessins de Ludovic Debeurme). En chemin, on croise l’entrevue de Nicole avec le tonitruant Moolinex qui nous parle de l’art pute, des chauves et de la bière tiède. La revue consacre une cinquantaine de pages à une exposition intitulée « Bandes Fantômes », dont quelques planches sont reproduites ici. Le projet, présenté dans le cadre du festival Pulp, se résume ainsi : « présenter au public quelques-unes de ces bandes dessinées mortes avant d’avoir existé, dont les tiroirs des auteurs regorgent ». Le résultat ? De superbes inédits de Blutch, Mandryka, ou encore une collaboration entre Dupuy, Berberian et Jean-Louis Capron. N’hésitez plus : il n’y a aucune excuse à ne pas serrer Nicole contre soi.

Nicole et Franky, éditions Cornélius, janvier 2016, 304 pages, 14, 50 €.

Les éditions Cornélius

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