OK Crooner, Vincent Taeger revient avec son Jazz Kamasutra

vincent taeger, ok crooner
Photo: La Plongée.

Il y a plus de 2 décennies, Vincent Taeger se faisait connaître comme batteur au sein de feu Poni Hoax et des Jazz Bastards. Dès le milieu des années 2000, il a également collaboré avec des artistes de tous horizons géographiques et musicaux, avant de se lancer en solo il y a 5 ans sous le pseudonyme Tiger Tigre. En prolongement de l’album Grrr ? publié en 2019, il nous propose aujourd’hui son premier opus paru sous son nom et en compagnie de son nouvel ensemble : le Jazz Kamasutra. Baptisée OK Crooner, cette création est sortie le 6 décembre 2024 sur le label Born Bad Records.

A priori, Vincent Taeger n’était pas tout à fait destiné à une carrière musicale. Né en 1976 d’un père mécanicien et d’une mère postière, il débute sa pratique musicale par l’apprentissage de la batterie, instrument pour lequel il développe un talent qui interpelle son professeur. Tant et si bien que sur l’impulsion de ce dernier et celle de ses parents, il entre au CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique) de Paris dès au milieu des années 90. Un établissement prestigieux dont il intègre la section jazz et où il reçoit les cours du percussionniste Jean Geoffroy. En dépit de son intérêt pour sa discipline, il réalise pourtant que l’univers de la musique classique ne lui conviendrait pas. D’autant plus qu’à la même période, il fait la connaissance de Ludovic Bruni et Vincent Taurelle, qui participent alors activement au développement du mouvement « french touch ». En leur compagnie, il fonde le trio The Jazz Bastards en 1998. Un combo qui, au fil des années, collabore avec une pléiade d’artistes, dont le rappeur et écrivain Oxmo Puccino pour l’album commun Lipopette Bar (2006).

vincent taeger, ok crooner

Entre temps, il fait également la connaissance de Laurent Bardainne, Nicolas Villebrun et Arnaud Roulin, avec lesquels il fonde le groupe Poni Hoax. Rejointe en 2001 par Nicolas Ker au chant, la formation publie son premier album éponyme en 2006. Inaugurant une fusion détonante entre rock, électro et disco, cet opus séminal attire l’attention de la critique et fait du groupe l’un des plus renommés du rock hexagonal. Dans ce contexte, le quintette prend la route et sillonne les clubs des quatre coins de l’Europe, lors d’une tournée qui passe notamment par l’Allemagne et la Belgique. 3 albums plus tard, l’aventure est ponctuée par un 4ème et dernier opus Tropical Suite, sorti en 2017 chez Pan European Recording.


Les années suivantes, Vincent Taeger œuvre ainsi derrière les fûts et à divers postes pour des artistes comme Charlotte Gainsbourg, Oumou Sangaré ou plus récemment Clara Luciani. Dans le même temps, il éprouve également le besoin de trouver son identité artistique via un projet plus personnel. C’est ainsi qu’en 2019, il revêt le pseudonyme Tiger Tigre et met sur pied plusieurs compositions à dominante instrumentale. Ces dernières sont ensuite réunies sur son premier album solo Grrr ?, enregistré au studio La Marquise et publié le 25 octobre de la même année sur le label ERR REC.

Un an plus tard, cette nouvelle carrière prend un nouveau tournant assez inattendu : à la période des deux premiers confinements de la crise COVID, le musicien se plonge dans les albums d’artistes emblématiques de la chanson de variété française comme Alain Souchon, Christophe et Alain Chamfort. Dans le même espace temps, il retombe sur de nombreuses démos accumulées depuis dix ans. Parmi elles, se trouve la maquette d’une chanson: « Sax Addict ». Dans la foulée, il fait écouter le titre à Jean-Baptiste Guillot, directeur du label Born Bad Records, qui tombe sous le charme du morceau. Il propose alors à l’artiste d’écrire plusieurs autres compositions dans cette veine, afin de les sortir sur disque. Défi relevé par Vincent Taeger qui recrute ensuite une équipe de musiciens renommée Le Jazz Kamasutra, venue l’épauler dans sa tâche. Quelques mois plus tard, il met la touche finale à ce qui devient l’album OK Crooner, le premier publié sous son véritable nom, sorti le 6 décembre 2024.

En ouverture de ce nouvel opus, le morceau « Prologue amateur » nous introduit sans attendre dans l’univers singulier que Vincent Taeger initiait avec son précédent projet Tiger Tigre. Dans ce monde créatif et bigarré, la grammaire jazz occupe ainsi une place de choix, via notamment des parcours harmoniques dont les couleurs et suites d’accords évoquent également des compositeurs comme Claude Debussy. Une composante qu’il marie également avec certains emprunts aux musiques psychédéliques et expérimentales, qu’on perçoit par exemple à l’écoute de « Surprise Tinder » et « Igor Stravestit ». Plus largement, les morceaux d’OK Crooner présentent des instrumentations pour lesquelles Vincent Taeger a puisé dans un large spectre d’influences et d’emprunts stylistiques, qui témoignent d’un certain éclectisme. Ainsi, les sonorités électroniques presque omniprésentes des synthétiseurs font écho à la synth pop et l’électro funk des années 80, notamment sur les morceaux « 5th » et « Ok Boomer ». Elles forment ici une palette sonore diversifiée et parfois foisonnante, auxquelles viennent se greffer les rythmiques de batterie de Vincent Taeger, dont certains breaks le rapprochent de l’afrobeat de Fela Kuti et Tony Allen.

vincent taeger, ok crooner
Photo: Marikel Lahana.

S’il joue lui-même de plusieurs instruments sur cet album, Vincent Taeger est aussi entouré de musiciens qui figurent parmi ses fidèles compagnons de route et incarnent avec lui le Jazz Kamasutra. S’y trouvent en outre Vincent Taurelle et Ludovic Bruni, ses deux acolytes des Jazz Bastards, ainsi qu’Arnaud Roulin, son ancien camarade de Poni Hoax, qui assure plusieurs parties de claviers et de piano. Dans cet ensemble, on notera également la présence d’Emile Sornin à l’ondioline, ainsi que celle de Rémi Sciuto dont les saxophones résonnent sur des morceaux comme « Amoureuse » et « Je cours ». Une chanson pour laquelle le chant de Vincent Taeger côtoie également les choeurs assurés par sa compagne Maud Chabanis, connue sous son alias La Plongée et qui co-produit aussi le disque.

Par ailleurs, OK Crooner est le premier album où Vincent Taeger se présente non seulement comme musicien, mais aussi en tant que chanteur à part entière. Dans ce cadre, il déploie une voix résolument nonchalante et un brin détachée, qu’il conjugue à des textes savamment décalés à l’image d’un Philippe Katerine ou du Canadien Chilly Gonzales. Une fantaisie affichée qui se reflète en particulier à travers un usage fréquent de calembours, au mauvais goût ouvertement et malicieusement assumé. L’illustration la plus flagrante réside sans aucun doute dans le texte du single « Sax Addict », parodie de ballade romantique lorgnant vers une grivoiserie à peine déguisée, associée pourtant à une sensualité des plus délectables. De même, Vincent Taeger s’appuie par moments sur un recours plutôt facétieux à l’interpolation. En témoignent ainsi la pièce « 5th », dans laquelle il revisite le 1er mouvement de la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven. Quant au loufoque « Ok Boomer », son motif principal n’est autre qu’une citation de la mélodie vocale du « Behind Blue Eyes » des Who.

vincent taeger, ok crooner
Photo: Marikel Lahana

Parallèlement à cette fantaisie déjantée, OK Crooner constitue la bande son d’un monde intérieur empreint de rêverie, ainsi que d’histoires dont l’approche très visuelle lui confèrent une portée quasi cinématographique (« Amoureuse »). A cet égard, plusieurs de ses morceaux reflètent des atmosphères plus mélancoliques et dévoilent une veine plus introspective. C’est notamment vers ce registre que s’oriente « Notre soleil est mort », mise en chanson de l’instrumental « The Frenchiest Man In The World » que Vincent Taeger avait dévoilé sur le projet Tiger Tigre. Sous des paroles crépusculaires écrites par Julien Gasc, l’artiste y met en scène un personnage pleurant la fin d’amour, traînant son désespoir dans les rues et les bars d’un quartier de Tokyo. Il y explore ainsi une vocalité sobre et un style de chanson française élégante, sous une esthétique instrumentale portée par un contrepoint aérien de synthétiseurs et une rythmique de batterie lente et marquée.

vincent taeger, ok crooner
Visuel: Elzo Durt.

Sorti le 6 décembre 2024 chez Born Bad Records.

Disponible dans les bacs et sur les plateformes : ICI

Article précédentRennes. Le Triangle prépare le Défilé Fantastique du jeudi 30 janvier
Article suivantDaniel Pantchenko livre ses entretiens avec Claude Nougaro
Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici