Nouvel et second arrêt : Goukovo, oblast de Rostov. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Si j’ai fait le voyage de Goukovo, en fait, c’est à cause de Natalya. Natalya était mon amie russe. Elle vivait à Paris depuis une quinzaine d’années. Elle est morte en décembre dernier d’un 
La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était en octobre, deux ou trois jours après mon anniversaire, et elle était encore en pleine forme. Ce jour-là, nous avons déjeuné du côté de Denfert Rochereau. Elle m’a offert Le Maître et Marguerite de Boulgakov. C’était un livre important pour elle. Je ne l’avais pas encore lu et elle s’en est montrée ravie. Elle m’a dit, avec dans la voix ce charmant reste d’accent russe qui me chavirait : tu verras, c’est une splendeur.

Elle m’a parlé des mines de charbon, de l’Ukraine, tout à côté, qui n’était pas encore l’Ukraine, je veux dire un pays en proie aux conflits. Elle m’a parlé aussi d’une maison de garde-barrière qu’il y avait juste à côté de l’isba familiale.


Avant finalement de passer à autre chose, cette dernière fois où nous nous sommes vus, elle m’a confié que son rêve secret était de retourner sur les lieux de son enfance, pour voir si la maison du garde-barrière était toujours là, et le potager, et le chemin de terre le long des voies. Elle projetait de faire le voyage cet été. Par jeu, elle m’a demandé si ça m’amuserait de l’accompagner.
Cette chronique, aujourd’hui, lui est dédiée.
